Wednesday 30 December 2015

Les Traités d'Utrecht, les Renonciations de 1712 et la succession à la tête de la Maison de France

Les Traités d'Utrecht, les Renonciations de 1712 et la succession à la tête de la Maison de France

Avant-propos

Cet essai a pour objet d'évaluer les conséquences des Traités d'Utrecht et des actes de Renonciation aux Trônes de France et d'Espagne, dans une période s'étendant de 1700 à 1847 - la question de leur validité étant alors au cœur des relations internationales. On procédera, dans un premier temps, à l'exposé des événements ; puis, on se livrera à une analyse détaillée de moments essentiels : le Testament de Charles II, les négociations aboutissant à la signature des Traités, les Renonciations elles-mêmes et les traités auxquels elles furent annexées. On s'efforcera ensuite de brosser un tableau des relations entre les deux dynasties au cours du XVIIIe siècle, en retraçant en détail les différents traités et accords passés entre elles, les différentes analyses officielles de ces traités, et le dénouement qu'ils trouvent dans la Révolution française et la rédaction de la première Constitution. À la suite de la Restauration (1813-1814), l'abolition de la loi semi-salique en Espagne, ainsi que les réactions des gouvernements respectifs seront examinées en détail. Enfin, on portera une attention particulière à la crise internationale provoquée par les mariages d'Isabelle II et de sa sœur, ainsi qu'aux nouvelles modalités d'échange qui s'établissent désormais entre la France, l'Espagne et la Grande-Bretagne. Cet essai s'achèvera par un bref exposé des conséquences historiques de ces événements. Les références et les citations apparaîtront soit dans le corps du texte, soit en appendice à la version électronique de cet essai en anglais.


Première partie : Introduction

Lorsque Charles II, dernier des Habsbourg à régner sur l'Espagne, meurt le premier novembre 1700, l'Europe est précipitée dans la crise. L'Empire d'Espagne comprenait alors non seulement les Royaumes de Castille et d'Aragon, ainsi que les autres Royaumes Ibériques (bien que le Portugal eût obtenu son indépendance en 1640), mais également le Royaume des Deux-Siciles (soit Naples et la Sicile), le Duché de Milan, les Provinces Catholiques des Pays-Bas (correspondant à l'actuelle Belgique), ainsi que de vastes dépendances américaines. La refonte éventuelle de ces suzerainetés, soit dans le Royaume de France, soit au sein des possessions héréditaires autrichiennes, aurait bouleversé le fragile équilibre des rapports de force en Europe, tel qu'il avait été institué en 1648 par le Traité de Westphalie. Ces interrogations sont au cœur des relations diplomatiques européennes pour les deux siècles et demi à venir.

La réunion des Royaumes d'Espagne (et plus tard, de celui des Indes, comme on nommait les possessions américaines) avec les Provinces-Unies des Pays-Bas avait été la conséquence du mariage de Jeanne la Folle, fille de Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle-la-Catholique, avec l'Archiduc Philippe le Beau, fils de l'Empereur Maximilien Ier de Habsbourg en 1496. Leur fils, Charles Ier (Charles-Quint, 1500-1558) avait étendu son Royaume grâce au rattachement de Naples et de la Sicile, possessions héréditaires d'Aragon, et à la prise du Duché de Milan. Il avait en outre hérité de son grand-père l'Archiduché d'Autriche ainsi que les Etats qui en dépendaient. En 1556 il abdiqua la Couronne espagnole en faveur de son fils unique Philippe II, qui fonda la branche espagnole des Habsbourg, tandis que les possessions allemandes et autrichiennes revenaient à son frère cadet, Ferdinand, roi de Bohême, qui fut élu Empereur deux ans plus tard et prit la tête de la branche cadette autrichienne.

Les règles de succession en Espagne étaient déterminées par les lois II, III et V du titre XV de la Partida II de 1263, les lois XL et XLV du Toro de 1505, la loi VI du titre I du Livre II et les lois IV, V et VIII du titre VII du livre V de la Recopilaciòn de 1567. En vertu des ces textes, la Couronne des Royaumes d'Espagne et des Indes se transmettait selon la primogéniture, les femmes étant exclues de la succession tant qu'il restait des héritiers mâles. Charles II n'ayant pas de descendance, sa succession posait problème : la généalogie désignait en effet comme héritier le Dauphin, fils de sa défunte sœur aînée Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV. Prévoyant l'inquiétude que ne manquerait pas de susciter un accroissement de la puissance française, cela dans le contexte d'une détérioration des relations franco-espagnoles au cours des années 1690, Charles envisagea d'abord une solution qui ne favorisait ni la France ni l'Autriche, probables candidates au Trône, et désigna un héritier plus jeune à sa succession. Il s'agissait du Duc Joseph-Ferdinand de Bavière (1692-1699), dernier petit-fils de la plus jeune sœur de son défunt père, l'Infante Marguerite-que les célèbres tableaux de Velázquez nous ont rendue familière; il fut désigné héritier et élevé au rang de Prince des Asturies. Toutefois, Joseph-Ferdinand mourut avant son grand-oncle et sans descendance : la crise de succession devenait inévitable. Charles II s'était entre temps rangé à l'avis que la Couronne devait être transmise en concordance avec les lois séculaires régissant la succession.

Le Dauphin étant l'héritier de la Couronne de France, il fut sagement décidé que l'Espagne reviendrait à son second fils, Philippe, duc d'Anjou. Cette solution garantissait l'indépendance réciproque des Royaumes français et espagnol, laquelle avait déjà fait l'objet, quelques années plus tôt, de deux Traités, ainsi que de la Renonciation de l'Infante Marie-Thérèse et de sa tante, l'Infante Anne, à leurs propres droits héréditaires. Outre le Dauphin et ses descendants, les suivants dans l'ordre de la succession étaient Louis XIV lui-même, puisqu'il était le fils de l'infante Anne, puis son frère Philippe, duc d'Orléans (il mourut six mois plus tard ; son fils Philippe, duc de Chartres puis duc d'Orléans, succéda à ses titres et prérogatives). L'Empereur Léopold I (1640-1705) qui contesta immédiatement les droits du duc d’Anjou à la succession, était le dernier fils survivant de l'Infante Marie-Anne, la plus jeune sœur de Philippe IV et d'Anne, Reine de France. Il refusa de reconnaître la validité du Testament de Charles II, exigeant qu'on prît acte de la Renonciation des Infantes Marie-Thérèse et Anne à leurs droits sur la Couronne d'Espagne, renonciations qui faisaient de lui le premier dans l'ordre de la succession. Il fut ainsi à l'origine d'un conflit long de quatorze ans, la Guerre de Succession d'Espagne.

Charles II avait indiqué clairement dans son Testament que, d'après son interprétation, les règles de la succession au Trône d'Espagne exigeaient son rattachement à la Maison de France, un point de vue que défendaient ses principaux conseillers. Toutefois, les rivaux européens de la France, emmenés par la Grande-Bretagne (dont le souverain effectif était également Stathouder des Provinces-Unies, elles-mêmes objet des convoitises territoriales de la France), ainsi que par l'Empereur, considéraient l'accession du duc d’Anjou au Trône comme une menace contre leur propre sécurité. Le conflit qui en résulta fut un désastre pour la France et, si Philippe put être maintenu sur le Trône d'Espagne, les autres possessions européennes espagnoles furent perdues ; le coût exorbitant de la guerre greva les finances françaises, entravant à long terme le développement économique du pays.

Le succès quasi immédiat de l'alliance conclue entre l'Autriche, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, incita l'Empereur à désigner son fils cadet, l'Archiduc Charles, comme Roi d'Espagne sous le nom de Charles III le 12 septembre 1703. En portant son choix sur Charles, l'Empereur adoptait la même solution que le défunt Roi d'Espagne, laissant ainsi son fils aîné régner sur le Saint-Empire Romain, ainsi que sur les terres héréditaires des Habsbourg. Cette tentative de maintien d'un équilibre entre les puissances échoua pourtant lors de l'accession de l’Archiduc-Roi au titre de Roi des Romains, à la mort de son frère aîné, disparu sans descendance mâle en 1711. Lorsqu'il mourut lui-même, en 1740, il était le dernier représentant mâle de la Maison de Habsbourg.

Les belligérants conclurent une série de six Traités en vue du règlement des différentes revendications territoriales résultant du conflit : le Traité d'Utrecht comprenant des accords entre la France et la Grande-Bretagne, l'Espagne et La Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la France, signé en 1713, puis étendu à un accord entre l'Espagne et les Pays-Bas en 1714 ; le Traité de Bade-Rastatt entre la France et l'Empereur en 1714 ; le Traité de La Haye entre la France, la Grande-Bretagne et les Provinces-Unies des Pays-Bas en 1714 ; le Traité, ou Quadruple Alliance de Londres, passé entre la France, la Grande-Bretagne, L'Empire et la Savoie (en remplacement des Provinces-Unies qui s'étaient retirées au dernier moment) en 1718 ; le Traité de La Haye entre l'Espagne et l'Empire, en 1720 ; enfin le Traité de Vienne entre l'Espagne et l'Empire, en 1725. Tous ces Traités comprenaient des clauses par lesquelles les différentes parties renonçaient à leurs revendications sur certains territoires ainsi qu'à leurs droits dans les successions dynastiques à venir ; la plupart de ces articles furent plus tard enfreints.

La validité des Renonciations réciproques des Royaumes français et espagnol, exigées par la Grande-Bretagne, et rattachées au Traité d'Utrecht, fut contestée d'emblée, et avant même leur signature, par le Ministre des Affaires Etrangères de Louis XIV ; leur légitimité fut en outre mise en doute par le Parlement français, chargé de les enregistrer. L'un des éléments essentiels de ces nouvelles réglementations dynastiques consistait en la Renonciation simultanée de l'Empereur à ses droits sur le Trône d'Espagne : le manquement à son exécution rendait toute ratification de ces règlements “temporaire", voire "discutable", quand bien même on aurait pu établir que la France fût légalement liée par ses engagements, ce que réfutent la plupart des constitutionalistes. Le manquement ultérieur à ces Traités que constituaient des mariages entre souverains français et espagnols, exclus de jure de la succession, du fait de la Renonciation de leurs ascendants, montre bien que l’exclusion des membres de l'une des deux lignées à la succession de l'autre n'avait jamais compté parmi les objectifs de ces Traités. Les points fondamentaux de ces Traités avaient été ignorés d'emblée, comme le montrent les violations répétées des articles organisant la répartition des territoires  : ils étaient le plus souvent transgressés quelques mois à peine après leur signature.

Les lois de la succession, proclamées par l'Assemblée Nationale de 1789, et réintégrées en termes légèrement modifiés dans la Constitution de 1789, posaient que les différents actes de Renonciation dynastique n'avaient pas valeur de contrainte absolue—la question de leur validité aux yeux des législateurs de 1789 et 1791 demeure donc ouverte. Ceux d'entre eux qui avaient été chargés de rédiger cette clause, ainsi que les membres de l'Assemblée Nationale dans son ensemble, étaient ainsi parfaitement conscients de ses implications en regard des droits potentiels de la branche espagnole. Les commentaires de l'Ambassadeur d'Espagne comme de Louis-Philippe, futur Roi des Français, démontrent qu'ils l'interprétaient, personnellement, comme la confirmation de la validité des droits de la branche espagnole, l'emportant ainsi sur la branche Orléans. L'abolition de la loi semi-salique en Espagne en 1830 autorisa les pouvoirs de l'époque, dans leur ensemble, à inférer la caducité de la clause garantissant aux descendants de Philippe V la succession au Trône d'Espagne. La nature contraignante des termes des diverses Renonciations fut contestée expressément par les Gouvernements de France et d'Espagne, en réponse aux protestations britanniques lors du mariage de l'héritière désignée du Trône d'Espagne avec un Prince de la Maison de France en 1846. Les réponses des deux gouvernements, en réaction à la position britannique, stipulaient que les Traités n'assuraient ni l'impossibilité de la réunion des deux Royaumes, ni l'accession automatique des descendants de Philippe V à la Couronne.

La branche aînée de la Maison de Bourbon, descendante directe de Louis XV, s'éteignit avec le souverain légitime, Henri V, Comte de Chambord, en 1883 ; toutefois cette branche avait cessé de régner depuis l'abdication de son grand-père Charles X en 1830. La monarchie orléaniste qui lui avait succédé fut renversée en 1848, de sorte que la nature contraignante de la Renonciation de Philippe ne fut jamais mise à l'épreuve d'une revendication effective de la branche aînée (Bourbon) sur la souveraineté exercée par la branche cadette (Orléans). Les aînés des héritiers mâles de Philippe V prirent la tête de la Maison de France, arguant de ce que son acte de Renonciation n'était ni recevable ni contraignant. Arguant l'inverse, les aînés des descendants du Duc d'Orléans firent de même. Aujourd'hui, alors que la Monarchie en France n'est plus qu'un souvenir, la question de la valeur légale de ces Renonciations n'a plus de conséquences politiques. On s'efforcera néanmoins, dans cet essai, de retracer les implications des différents accords passés, et d'identifier, en ces termes, le représentant légitime de l'ancienne Monarchie Française.

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Les Traités d'Utrecht, les Renonciations de 1712 et la succession à la tête de la Maison de France


Deuxième partie : le Testament, les Traités et les Renonciations

Charles II d'Espagne, dans son Testament du 2 octobre 1700 affirmait : « Considérant, en accord avec les divers avis proférés par Nos Ministres d’Etat et Nos Magistrats jugeant que les Renonciations à leurs droits respectifs sur nos Royaumes, consenties par les Dames Anne et Marie-Thérèse, toutes deux Reines de France, Notre tante et Notre sœur, n’avaient d’autre motif que leur crainte des conséquences pour l’Espagne d’une réunion avec le Royaume de France ; et considérant que bien que cette inquiétude n’ait plus de fondement, le droit du collatéral le plus proche à succéder au trône demeure en vigueur selon les lois de ces Royaumes ; et considérant que ce droit peut-être revendiqué à présent par le second fils du Dauphin ; par la présente, et en concordance avec ces lois, Nous désignons comme Notre successeur (si Dieu devait Nous rappeler à Lui tel que Nous sommes, sans descendance) le duc d’Anjou, second fils du Dauphin, et Nous le nommons héritier de tous nos Royaumes et Domaines sans exception aucune (…). Soucieux de préserver la paix de la Chrétienté et de toute l’Europe, soucieux du bien-être de Nos Royaumes, Notre intention est que cette Couronne qui est Nôtre et celle de France demeurent à jamais séparées, et à cette fin Nous déclarons solennellement, en Nous référant aux stipulations susdites, que si le dit duc d’Anjou venait à mourir avant que Nous fussions Nous-même rappelé à Dieu, ou s’il devait accéder au Trône de France et préférer cette Couronne à la Nôtre, lors ladite Couronne passerait au duc de Berry, Son frère, et troisième fils dudit Dauphin, et que dans cette éventualité les conditions susdites demeureraient en vigueur. Et que, si le duc de Berry venait à mourir avant que Nous fussions Nous-même appelé, ou s’Il devait accéder au trône de France, Nous déclarons que Notre volonté est de voir passer la Couronne à l’Archiduc, second fils de Notre oncle l’Empereur, par préférence, pour les mêmes raisons que Nous avons données plus haut—et en vertu du même souci que Nous avons exprimé plus haut pour le bien commun—au premier-né de l’Empereur Notre oncle. Et si l’Archiduc venait à mourir avant que Nous fussions appelé à la Vie Eternelle, Nous déclarons que Notre volonté est de voir passer la Couronne au Duc de Savoie et à ses héritiers. »_ Ce testament passait manifestement sous silence les droits évidents de la branche Orléans. Le duc d'Orléans en conçut une certaine rancœur : il l’exprima en faisant promulguer le Décret Pragmatique de 1703, au moyen duquel il réaffirmait ses droits. Charles II mourut le 1er novembre 1700 et son Testament parvint à Fontainebleau le 9 novembre. Le Marquis de Torcy, Ministre des Affaires Etrangères, fit immédiatement parvenir aux Ambassadeurs des Pays-Bas et de Grande-Bretagne une note stipulant que si le Roi approuvait le Testament, les monarchies de France et d'Espagne demeureraient distinctes.

Aux yeux des contemporains, il allait de soi que les Renonciations de 1612, 1615, 1619, 1659 et 1660, mentionnées par le Testament, de même que les Renonciations de1712-1713, avaient pour but d'empêcher l'union des Couronnes de France et d'Espagne sur la même tête, et de préserver à la fois l'indépendance espagnole et l'équilibre des forces en Europe. N’en déplût à Louis XIV ("Il n'y a plus de Pyrénées") l'union des deux pays ne fut jamais à l'ordre du jour. De fait, l'histoire même de ces mariages et de ces Renonciations en chaîne tend à prouver que leur objectif était de prévenir toute union franco-espagnole, non de priver les membres de chacune des deux branches de la Maison de France de leurs droits à la succession de l'un ou l'autre Trône. Telle était la raison avancée lors des Renonciations signées par les Infantes Anne et Marie-Thérèse, tout comme lors des Renonciations de Philippe V et des Ducs de Berry et d'Orléans. La même logique sous-tendait les différents Traités d'Utrecht et les Traités qui suivirent dans le quart de siècle suivant.

La formulation du Traité d'Utrecht contrastait avec les conditions que les puissances alliées cherchèrent, dans un premier temps, à imposer à la France et à l'Espagne dans les "Préliminaires" de La Haye en 1709 et 1710, et représentait un assouplissement de leurs termes. Les premières propositions, datées du 29 mai 1709 et signées, pour la Grande-Bretagne, par le Duc de Marlborough et pour l'Empereur, par le Prince Eugène, scandalisèrent le Marquis de Torcy, Ministre des Affaires Etrangères, à son arrivée à La Haye. La Grande-Bretagne et ses alliés exigeaient une capitulation complète de la France et de l'Espagne, aux termes de laquelle la France reconnaîtrait l'Archiduc comme Charles III, souverain d'Espagne et de toutes ses possessions. Elle cèderait également Strasbourg, Brisach, Landau et l'Alsace à l'Empereur d'une part, puis Cassel, Lille, Tournai, Condé et d'autres villes de la Flandre française aux Pays-Bas d'autre part. L'article VI des préliminaires stipulait que « La Monarchie d’Espagne, dans son intégrité, doit demeurer au sein de la Maison d’Autriche, et aucune des parties ne saurait la démembrer, ni ladite Monarchie ou aucune partie de celle-ci être réunie à celle de France, ni être sujette au même Roi, ni aucun Prince de France en devenir le souverain, en aucune manière par testaments, actes, succession, convention, mariage, présent, vente, contrat ou quelque autre moyen, car nul Prince appelé à régner en France, ni aucun Prince de la Maison de France, ne saurait jamais régner sur l’Espagne, ni acquérir, aux fins d’obtenir ladite Monarchie, aucune place forte, contrée ou province en aucun pays, principalement aux Pays-Bas, en vertu d’aucun présent, contrat de vente, échange, contrat de mariage, héritage, appel, succession par testament ou intestat, d’aucune manière possible ni pour lui-même, ni pour les Princes ses fils et ses frères, leurs héritiers et descendants. »L'article IV laissait au "duc d'Anjou", c'est-à-dire à Philippe V, deux mois pour quitter toutes les possessions espagnoles ; les Français devaient dans le même intervalle retirer toutes leurs troupes des villes et des lieux stratégiques qu'ils détenaient encore (ce qui était impossible en seulement deux mois), faute de quoi les hostilités reprendraient. Enfin le texte stipulait qu'en cas de refus de la part du Roi d'Espagne, la France devait s'unir à la Grande-Bretagne et à l'Empire pour le démettre.

Ces exigences débordaient largement le cadre d'une simple séparation des deux Couronnes, ainsi que de quelconques précautions prises contre l’avènement d'un souverain espagnol au Trône de France et vice versa. Elles interdisaient à tout membre de la Maison de France de régner sur l'Espagne, ou sur une possession de la Couronne espagnole, et exigeaient de Louis XIV qu'il s'engageât dans un conflit contre son propre petit-fils. Puisque les Renonciations signées par les Infantes mariées aux Rois de France, étaient considérées comme nulles et non avenues, ces préliminaires auraient empêché toute union entre un membre de la Maison de France et un quelconque représentant de la dynastie qui serait à l'avenir appelée à régner sur l'Espagne. Les préliminaires s'en prenaient ainsi à toute la Maison de France, y compris à la branche de Condé qui ne descendait pas des Infantes Anne et Marie-Thérèse par les hommes. Bien que les Français aient refusé ces termes, la défaite qu'ils subirent à la bataille de Malplaquet les força à revenir à la table des négociations, à Gertruydenberg en 1710. Louis XIV fut contraint de donner son accord à un cessez-le-feu espagnol, et de persuader son petit-fils de renoncer à la Couronne. Il consentit que les deux monarchies ne fussent jamais réunies et en vint presque à accepter les conditions extrêmement sévères que lui imposaient les alliés, exigeant qu'aucun membre de sa Maison ne puisse régner sur l'Espagne. Toutefois la perspective de devoir déclarer la guerre à son propre petit-fils était si inacceptable à ses yeux que les hostilités reprirent.

Pour la première fois depuis un certain nombre d'années, la situation semblait tourner à l'avantage de la France. L'Empereur mourut à trente-trois ans en ne laissant que deux filles, et l'Archiduc Charles fut couronné Roi des Romains. La Grande-Bretagne était peu enthousiaste à l'idée de voir se reformer l'Empire de Charles-Quint, et bien qu'il lui fût difficile de revenir sur sa promesse de reconnaître en Charles le souverain d'Espagne, elle était prête à se dédire afin de ramener la paix. La Grande-Bretagne entama les négociations avec la France en janvier 1712, sans consulter ni l'Autriche ni les Pays-Bas (la dignité de Stadhouder ayant été dissociée de la Couronne Britannique en 1702), et donna son accord au maintien de Philippe V sur le Trône, sans autre condition. La mort soudaine de plusieurs Princes du Sang, augmentant les chances d'accession de Philippe V au Trône de France, et d’une réunion des deux Royaumes, conduisit à des pourparlers sur le moyen d'éviter cette situation.

La Grande-Bretagne considérait qu'une séparation perpétuelle ne pouvait résulter que d'une Renonciation définitive de Philippe V à ses droits sur le Trône de France. Torcy, dans un mémoire transmis au nom du Roi au ministre Britannique, le Comte d'Oxford, le 18 mars 1712, avertit : "La France ne peut jamais consentir à devenir province de l'Espagne, et l'Espagne pensera de même à l'égard de la France. Il est donc question de prendre des mesures solides pour empêcher l'union des deux monarchies ; mais on s'écarterait absolument du but qu'on se propose (…) si l'on contrevenait aux lois fondamentales du Royaume. Suivant ces lois, le Prince le plus proche de la Couronne en est héritier nécessaire (…) il succède, non comme héritier mais comme le maître du Royaume don la seigneurie lui appartient, non par choix, mais par le seul droit de sa naissance. Il n'est redevable de la Couronne ni au Testament de son prédécesseur, ni à aucun édit, ni à aucun décret, ni enfin à la libéralité de personne, mais à la loi. Cette loi est regardée comme l'ouvrage de Celui qui a établi toutes les monarchies, et nous sommes persuadés, en France, que Dieu seul la peut abolir. Nulle Renonciation ne peut donc la détruire, et si le Roi d'Espagne donnait la sienne, pour le bien de la paix et par obéissance pour le Roi son grand-père, on se tromperait en la recevant comme un expédient suffisant pour prévenir le mal que l'on se propose d'éviter."_ La Chambre des Pairs de Grande-Bretagne se rallia à ce point de vue, estimant, dans le cadre d'une motion adressée à la Reine Anne, que le Duc d'Anjou ne pouvait se voir privé d'un droit qui "lui avait été donné par le droit de sa naissance, et qu'avec le consentement du peuple français, il devait demeurer inviolable, en accord avec la loi fondamentale du Royaume"_

Torcy dénonçait ce qu’il percevait comme une illusion : la séparation définitive des deux Couronnes ne saurait être garantie par une simple Renonciation, même si le Roi d'Espagne y était contraint par son grand-père ; cette chimère mènerait à de plus grands périls encore. Mais Torcy ne fut pas entendu. La clarté de ce jugement, qui faisait écho à l'opinion unanime des constitutionalistes français de l'époque, montre bien qu’on décida de faire jouer les Renonciations en vue de satisfaire les demandes des alliés, et non dans la conviction sincère qu'elles pourraient effectivement priver un prince français de ses droits héréditaires. Les Britanniques avaient mal compris les fonctions et les attributions du Parlement de Paris, et pensaient qu'elles étaient les mêmes que celles du parlement de Westminster, investi, lui, du pouvoir de légiférer. Or le Parlement de Paris, bien qu'il fût le premier des Parlements, n'avait pas l'initiative des lois ; il s'agissait avant tout d'une Cour, chargée d'enregistrer les différents arrêts royaux ; cette procédure leur donnait alors force de loi. C'est pourquoi le simple enregistrement d'un arrêt royal ne pouvait modifier un élément constitutionnel aussi important que la succession au Trône, contrairement à ce que permettait le système juridique en Grande-Bretagne où le Parlement Britannique avait pu déclarer l'abdication de Jacques II en 1689, ou établir en 1701 la règle d'une succession protestante par l'Act of Settlement.

Les seconds préliminaires aux Traités d'Utrecht, ouverts le 15 mars 1712, comprenaient une demande faite à Torcy, ministre français des Affaires Etrangères : Philippe V devait renoncer solennellement au Trône de France, pour lui et pour ses héritiers. Louis XIV, le 9 avril 1712, écrivit à la Princesse des Ursins (qui exerçait alors une grande influence sur le Roi d'Espagne et avait obtenu grâce à lui une principauté souveraine à La Roche-sur-Yon), « Je n’ai ni la compétence ni la force suffisantes pour lui _Philippe V_ être de bon conseil. Un habile politique lui conseillerait de tout promettre pour faire sa paix, parce qu’une Renonciation se révèlera illégale et ne pourrait pas subsister ; mais je ne sais si ce conseil serait à son goût. » _ Cependant, le brillant Marlborough avait dû quitter ses fonctions pour des raisons de politique intérieure ; il fut remplacé à son poste par le Duc d'Ormonde, politicien médiocre. Les alliés de la Grande-Bretagne étaient peu enclins à laisser leurs troupes sous le commandement d'un chef inexpérimenté, et les Britanniques, à l'inverse, renâclaient à confier le commandement suprême au Prince Eugène. Les Français, désireux de semer la discorde entre la Grande-Bretagne et ses alliés, se montrèrent déterminés à trouver un compromis. Le 28 mai, Louis XIV proposa à Philippe de simplement renoncer à l'Espagne s'il devait accéder au Trône de France, mais le Roi d'Espagne s'y refusa d'abord, arguant que ses droits étaient garantis par les lois fondamentales, et que Louis XIV lui-même avait écrit des lettres patentes allant dans ce sens. La France convainquit cependant la Grande-Bretagne de poursuivre les négociations, et une trêve fut signée le 21 juin. Philippe V, sous la pression croissante de son aïeul, annonça le 3 juillet 1712 qu'il se résoudrait à signer cet acte de Renonciation, aux fins de ramener la paix, et à la condition « que la succession au Trône d'Espagne fût garantie à ses descendants »_. Cet objectif majeur demeurait un élément essentiel des négociations ; Philippe V ne trouvait pas avantage à renoncer à ses droits si ses descendants ne se voyaient pas maintenus au Trône d'Espagne.

La France et la Grande-Bretagne reconnurent en outre, par une convention signée le 21 août 1712, sans l'accord de l'Autriche, que si Philippe mourait sans descendance, la Couronne espagnole passerait au Duc de Savoie, bien que sa famille n'eût pas la préséance sur les descendants des sœurs de Philippe III (soient le Duc d'Orléans, contraint de signer la Renonciation, et l'Empereur qui s'y était refusé). La lignée de Savoie persista à faire valoir ses droits à la succession au Trône d'Espagne, et en 1830, le Roi de Sardaigne protesta contre l'abolition de la loi salique, laquelle annulait ses droits proclamés par le Traité. La cession de ces revendications potentielles, selon les termes du changement ultérieur des règles de succession au Trône d'Espagne, désignait clairement comme héritiers les descendants mâles du Duc de Savoie, puis la lignée de Savoie-Carignan, bientôt représentée par le Prince Héritier Victor-Emmanuel, Duc de Savoie.

Le Maréchal de Villars l'emporta sur l'armée impériale à Denain, en juillet 1712 et, faisant ainsi échouer les tentatives du Prince Eugène, redonna de l'ardeur à la France. La Grande-Bretagne, cependant, entreprenait vainement de gagner ses alliés aux termes du nouveau Traité de paix ; les Pays-Bas acceptèrent toutefois de rejoindre la table des négociations en 1712, et signèrent des Traités séparés avec la France et l'Espagne l'année suivante.

Le texte du premier Traité d'Utrecht (signé par la Grande-Bretagne et la France), daté du 31 mars 1713, prenait acte de ces Renonciations et rappelait leurs tenants, dans l'intention de garantir que : "Art. VI. Attendu que le feu dévastateur de la Guerre, que cette Paix doit éteindre, se nourrissait de la menace faite à la Sûreté et aux Libertés de l'Europe par l'union des Royaumes de France et d'Espagne sous une seule et même Couronne; et attendu qu'avec la Faveur de la Divine Providence, ainsi que sur les instances ferventes de Sa Majesté de la Grande-Bretagne, ainsi qu'avec le consentement tant du Roi Très-Chrétien que du Roi Catholique, il est désormais convenu que ce mal doit être empêché pour les temps à venir, au moyen de Renonciations rédigées sous la meilleure Forme, et exécutées de la Manière la plus solennelle, dont la Teneur est comme suit. Attendu que la Renonciation précédente (devant toujours avoir force de loi pragmatique, fondamentale et inviolable) prévoyait et assurait qu'en aucun cas, jamais ni le Roi Catholique, ni aucun de sa lignée, ne chercherait à obtenir la Couronne de France, ou à monter sur ce Trône; et que part des Renonciations réciproques de la France et par les Règlements de la Succession héréditaire, tendant vers le même dessein, les Couronnes de France et d'Espagne sont tellement distinctes et séparées l'une de l'autre, que les Renonciations susnommées et autres Transactions y afférant, demeurant en pratique, et fidèlement observées, elles ne peuvent jamais être réunies : ce pourquoi la sérénissime Reine de la Grande-Bretagne, et le sérénissime Roi très Chrétien, s'engagent solennellement l'un envers l'autre, et sur leur Parole Royale, qu'il ne sera rien fait de leur part, ou de celle de leurs Descendants et Successeurs, et qu'aucune autorisation ne sera donnée par eux à quiconque, de faire quoique ce soit empêchant les Renonciations susnommées et les Transactions susmentionnées de demeurer effectives ; mais bien au contraire, que leurs Royales Majestés, d'un commun accord, et mettant leurs forces en commun, auront toujours le soin sincère, et prendront les mesures appropriées, pour que les dits Fondements de la Sécurité publique demeurent inébranlables et préservés intacts à jamais"_. Les Renonciations elles-mêmes furent inclues dans ce Traité, non pas comme en faisant partie intégrante, mais portées en "documents annexes", puisque les Princes qui les prononçaient n'étaient pas des parties ou des signataires du Traité Anglo-Français.

Le deuxième Traité d'Utrecht (concernant la France et les Provinces-Unies des Pays-Bas), daté du 11 avril 1713, posait à l'article 31 : "Puisque l'on convient qu'il est absolument nécessaire d'empêcher que les Couronnes de France et d'Espagne ne puissent jamais être unies sur la tête d'un même Roi, et de pourvoir par ce moyen à la sûreté et à la liberté de l'Europe, et que, sur les instances de la Reine de la Grande-Bretagne, et du consentement tant du Roi très-chrétien que du Roi catholique, ont été trouvés les moyens d'empêcher cette union par des Renonciations…"Et puisque, par les dites Renonciations et déclarations (…) il a été arrêté que ni le Roi catholique lui-même ni aucun de ses descendants puisse à l'avenir prétendre à la Couronne(…) de France(…) "Et d'autant que par des Renonciations réciproques de la part de la France (…) qui tendent au même but; les deux Couronnes d'Espagne et de France sont tellement séparées, etc."

Le troisième Traité d'Utrecht (concernant l'Espagne et la Grande-Bretagne), daté du 10 juillet 1713, fut signé après la modification engagée par Philippe V des règles de la succession d'Espagne, établissant une loi semi-salique. Ce changement était considéré de part et d'autre comme faisant partie des arrangements dictés par le Traité (la nouvelle loi fut du reste rattachée au Traité, ainsi que d'autres textes relatifs à la succession). L'article II était ainsi formulé: "Afin que toute inquiétude autour de la réunion des Royaumes de France et d'Espagne sous une même Couronne soit apaisée, et que la paix consentie entre les deux Puissances soit fermement établie, le juste équilibre entre les forces garanti, et la paix ainsi assurée, Sa Majesté catholique réitère et réaffirme par la présente l'abdication de tous Ses droits sur la Couronne de France. A cela s'ajoutent l'Acte d'Abdication, la résolution des Cortes, le Décret Royal désignant la Maison de Savoie héritière légale de la succession au Trône d'Espagne, les Actes de Renonciation signés par la Famille Royale de France et portant sur leurs revendications et droits au Trône d'Espagne, ainsi que la lettre de Sa Très-Chrétienne Majesté"_.

L'article 37 du quatrième Traité d'Utrecht du 20 juin 1714, entre l'Espagne et les Pays-Bas, porté en annexe au Traité d'Utrecht de 1713, déclare : "puisque l'heureuse perpétuation de la paix, garante de la paix et la sûreté de l'Europe, dépend entre autres principes de l'indépendance réciproque des deux Couronnes d'Espagne et de France, et de l'impossibilité de leur réunion sur la tête d'un seul et même Roi, Sa Majesté catholique a, dans ce dessein, renoncé. Et c'est pourquoi, d'autre part, les Princes de la Maison Royale de France ont également renoncé, pour eux-mêmes et pour leurs successeurs et héritiers, dans les termes les plus définitifs, à aucun droit, titre ou revendication sur la Couronne d'Espagne. Et c'est pourquoi aussi les deux Couronnes d'Espagne et de France demeureront à jamais séparées, et n'obtiendront jamais d'être réunies sur une seule et même personne"_. Les Hollandais redoutaient que la France prenne possession des Pays-Bas, ce qui aurait constitué une menace contre leur sécurité, et la succession d'un Prince français à la Couronne d'Espagne faisait craindre une tentative de réaffirmation des revendications espagnoles sur les Pays-Bas.

Dans chacun de ces Traités, l'objectif des articles des Renonciations est clairement donné : séparer à jamais les deux Couronnes et empêcher leur union sur une seule et même tête. L'intention n'était pas, comme on se le proposait au cours des négociations avortées de 1709-1710, d'empêcher définitivement l'accession au Trône d'Espagne d'un membre de la Maison de France. Les Renonciations à l'Espagne avaient été formulées en termes similaires par deux fois, au cours du siècle précédent. Lorsque l'Infante Anne d'Autriche, fille de Philippe III, s'était unie à Louis XIII, on avait exigé d'elle qu'elle renonçât à la succession au Trône d'Espagne pour elle-même et pour ses descendants, dans une annexe à son contrat de mariage du 22 août 1612. Cette exigence fut renouvelée peu de temps avant son mariage, le 18 octobre 1615. Une fois de plus, l'objectif était d'empêcher l'union des deux Couronnes : "et d'empêcher que lesdits Royaumes soient réunis, et en aucune occasion où ils pourraient l'être (…) la Sérénissime Infante Anne ni les enfants nés d'elle, soit mâles ou femelles, ni leurs descendants  en quelque degré qu'ils se puissent trouver, ne puissent succéder aux Royaumes, états et seigneuries appartenant à Sa Majesté catholique." Comme elle était alors mineure, elle renouvela cette Renonciation en 1619. Cet engagement prit force de loi en Espagne en vertu du Décret Pragmatique du 3 juin 1619, et fut inclus au titre de la Loi XII du Titre VII du Livre V de la Nueva Recopilaciòn  de las leyes de Castilla de 1640 (puis à nouveau, curieusement, en tant que Loi IV du Titre I de Livre III de la Novisima Recopilaciòn  de 1803)_.

Le contrat de mariage établi le 7 novembre 1659, entre Louis XIV et sa cousine germaine, l'Infante Marie-Thérèse, contenait une clause semblable, dont l'objectif explicite était de prévenir l'union des deux Couronnes. Il est fait référence, tant dans ce contrat que dans celui de l'Infante Anne, aux intérêts des Etats européens et à la "dignité de l'Espagne", métaphore désignant son indépendance. Marie-Thérèse était l'aînée des enfants survivants de Philippe IV, et avait deux frères cadets, dont la santé était fragile. Don Luis de Haro, qui négocia le contrat au nom du Roi d'Espagne, déclara à M. de Lionne, en 1659 que "si la Couronne d'Espagne devait perdre les deux jeunes Infants qui vivaient encore, il ne se trouverait nul par un sujet de la monarchie qui, nonobstant les Renonciations qui seraient faites par l'Infante, ne verrait en elle sa véritable Reine (…) parce que le simple article d'un Traité ne saurait détruire les grandes lois fondamentales d'une monarchie(…)"_. Le contrat de mariage fut inclus dans le Traité des Pyrénées du 7 novembre 1659 (enregistré par le Parlement de Paris) et le 2 juin 1660 Marie-Thérèse, en exécution de son contrat de mariage, signa une Renonciation solennelle "afin d'empêcher l'union des deux Couronnes"_.  Philippe IV, dans son Testament, confirma par écrit les Renonciations de sa sœur et de sa fille, toutes deux ayant eu pour but d'empêcher l'union des deux Couronnes, mais expliquant leurs actes par des raisons de "convention"_

Les Ducs de Berry et d'Orléans bénéficièrent tous deux directement de la Renonciation de Philippe, puisqu'ils s'en trouvaient mieux placés dans l'ordre de la succession. Cependant le Prince de Condé, à la tête de la lignée suivante dans l'ordre de la succession, et qui en bénéficiait également, protesta dans une lettre au Roi que "les droits de succession à la Couronne dépendaient de Dieu seul, que personne ne pouvait les infléchir, ni aucune puissance sur la terre, (…) et revenaient successivement aux Princes de La Maison Royale de France, chacun suivant l'ordre et le rang de sa naissance." Charles Giraud, dans un texte rédigé en réponse à une demande de Louis-Philippe, Roi des Français, et chef de la Maison d'Orléans, apporta une réfutation cinglante de la validité de ces Renonciations, n'obligeant que les Princes qui les signaient, mais certainement pas leurs descendants qui avaient hérité ces droits de leurs ancêtres. Il poursuivait en affirmant qu'il n'appartenait à aucun souverain, dans les monarchies modernes, de transmettre la Couronne à un fils cadet aux dépens de son aîné._

Mais la nécessité de prévenir l'union des deux Couronnes imposait qu’on prît des accommodements avec cette règle absolue. Bien qu'en 1700, l’héritier immédiat de Charles II d'Espagne fût le Dauphin, suivi de son fils aîné le Duc de Bourgogne, ils se trouvaient l'un et l'autre au même rang dans la succession au Trône de France. De fait, ni l'un ni l'autre ne fut couronné: tous deux moururent tragiquement avant leur père et grand-père Louis XIV ; sa succession revint finalement à son arrière petit-fils, Louis XV. Les lois régissant la succession en France étaient simples ; le Trône devait passer par les hommes, nés d'unions légitimes, dans l'ordre de primogéniture. Les lois de succession espagnoles (ou du moins celles qui avaient cours lors des négociations préliminaires au Traité d'Utrecht) exigeaient que les fils du Roi succèdent à la Couronne selon la primogéniture, et par préférence à leurs sœurs ; si le Roi ne laissait que des filles, l'aînée lui succèderait selon la primogéniture et par préférence à ses oncles (ainsi qu'aux branches mâles plus éloignées). Afin d'assurer ses droits et ceux de ses descendants, Philippe V décida de garantir à sa famille les mêmes droits que ceux qu'il avait sur le Trône de France. La loi qui fut alors promulguée instituait une succession semi-salique, aux termes de laquelle l'accession au Trône était limitée à la descendance mâle de Philippe. En cas d’extinction de la descendance mâle, la Couronne reviendrait à l'héritière du dernier survivant mâle ; seule l'absence d'une héritière entraînerait la transmission de la Couronne à la descendance du Duc de Savoie. Cette loi fut portée en annexe au volet anglo-espagnol du Traité d'Utrecht, qui fut signé le mois de juillet suivant_.

Les Renonciations réciproques de Philippe V, Roi d'Espagne, au Trône de France, et de deux Princes de la Maison de France au Trône d'Espagne, avaient pour but de maintenir l'équilibre des forces en Europe, en séparant définitivement les Couronnes française et espagnole. La réciprocité de ces engagements signifiait que tout manquement à leurs termes, commis par l'une quelconque des deux parties, dégageait l'autre de ses obligations. Les intentions et les ambitions des différentes parties des Traités auxquelles ces Renonciations furent portées en annexe étaient irréconciliables. La France souhaitait mettre fin à un conflit désastreux, mais cherchait également à retrouver son influence en Europe, sans limitation des pouvoirs monarchiques, tout en s'assurant qu'une dynastie amie s'établissait de l'autre côté des Pyrénées. La Grande-Bretagne voulait mettre un frein définitif à la puissance française en Europe, et espérait acquérir les possessions françaises et espagnoles du Continent Nord-Américain et des Caraïbes, ainsi que les colonies indiennes de la France. Sans la participation de l'Autriche à ce règlement, il était évident que le Trône de Philippe V ne serait pas fermement assuré. L'Espagne ne participait pas au Traité signé entre la France et la Grande-Bretagne, et avait signé une paix séparée avec la Reine. La Renonciation du Roi d'Espagne à ses droits français ne fut pas faite en sa qualité de Duc d'Anjou mais de Roi d'Espagne, et ne constituait qu’une annexe au Traité franco-anglais, dont le deuxième article contenait une Renonciation plus explicite que celle qui était incluse dans le Traité anglo-espagnol. En consentant à cette Renonciation, le Roi d'Espagne pouvait légitimement espérer rétablir la paix, et obtenir des gages fermes, prenant la forme d'une reconnaissance internationale de son droit incontesté à régner sur l'Espagne et sur son Empire. Il espérait alors encore conserver les possessions italiennes de l'Espagne, et bien qu'il fût forcé de s'en séparer par les Traités de 1713, resta déterminé à les recouvrer. Ni lui ni ses successeurs n'abandonnèrent l'espoir d'expulser les Anglais hors de Gibraltar, qu'il avait été forcé de céder à la Grande-Bretagne par le Traité de 1713. Malgré des tentatives répétées de la part des Espagnols pour reprendre le Rocher, il reste encore aujourd’hui possession britannique.

Les Provinces-Unies des Pays-Bas désiraient se prémunir contre les menaces d'incursions françaises, et se protéger contre les ambitions territoriales de l’Espagne ou de l’Empire. L'Empereur, qui se retira des préliminaires et refusa de rejoindre la paix d'Utrecht, voulait s'assurer que les frontières orientales de la France étaient fermement fixées, et obtenir la plus grande part possible des territoires de l'ancienne monarchie espagnole des Habsbourg. Il maintint ses revendications sur l'Espagne et son Empire, et les faisait encore valoir alors même qu’il prétendait y renoncer dans le cadre de la Quadruple Alliance de 1718.

La Renonciation de Philippe V, le 5 novembre 1713 faisait clairement état de son intention de séparer les deux Couronnes, ainsi que de la nature réciproque de sa Renonciation. "Philippe, par la grâce de Dieu, Roi de Castille, d'Aragon, des Deux-Siciles etc. Soit notoire et manifeste aux Rois, Princes, Potentats, Républiques, Communautés et personnes particulières qui sont et qui seront dans les siècles à venir, que l’un des principaux fondements des traités de paix à faire entre la couronne d’Espagne et celle de France d’une part et celle d’Angleterre de l’autre pour parvenir à la paix générale, étant d’assurer pour toujours le bien et le repos universel de l’Europe (…) il a été proposé et fait instance par l’Angleterre, et il a été convenu de ma part et de celle du Roi mon grand-père, que, pour éviter, en quelque temps que ce soit, l’union de cette monarchie à celle de France, et pour empêcher qu’elle ne puisse arriver en aucun cas, il se fit des renonciations réciproques pour moi et tous mes descendants à la succession de la monarchie de France(…). Prenant aussi des mesures, suivant la maxime fondamentale et perpétuelle de l’équilibre des puissances de l’Europe afin que l’on évite, en tous les cas imaginables, l’union de la monarchie d’Espagne avec celle de la France, et que l’on prévienne l’inconvénient qui arriverait, si, au défaut de ma descendance, le cas advenait que la monarchie d’Espagne pût retomber à la Maison d’Autriche, dont les Etats et leur dépendances, même sans l’union de l’Empire, la rendraient formidable : motif qui a donné lieu avec raison en d’autres temps, à la séparation des Etats héréditaires de la Maison d’Autriche du corps de la monarchie espagnole. Pour cet effet il a été convenu et accordé par l’Angleterre, avec moi et avec le Roi mon grand-père, qu’à mon défaut et à celui de mes descendants, le Duc de Savoie serait appelé à la succession de cette monarchie, lui ses enfants et descendants (…).
De mon propre mouvement, de ma libre, franche et pure volonté, moi Don Philippe, par la grâce de Dieu Roi de Castille et Léon…etc. etc. je renonce par le présent acte, pour toujours et à jamais, pour moi-même et pour mes héritiers et successeurs, à toutes prétentions, droits et titres que moi ou quelques autres de mes descendants que ce soit aient dès à présent, ou puissent avoir en quelque autre temps que ce puisse être à l’avenir, à la succession de la couronne de France. Je les abandonne et m’en désiste, pour moi et pour eux, et je me déclare et me tiens pour exclu et séparé, moi et mes enfants, héritiers et descendants, perpétuellement (…) du droit de succéder à la Couronne de France. Je veux et consens pour moi-même et pour mes descendants, que dès à présent comme alors, ce droit soit regardé et considéré comme passé et transféré au Duc de Berry mon frère, à ses enfants et descendants mâles, nés en légitime mariage ; et successivement à tous les Princes du sang de France, leurs enfants et descendants mâles, pour toujours et à jamais, selon le rang et l’ordre dans lesquels ils seront appelés à la couronne par le droit de leur naissance.
Je me dépouille et me désiste spécialement des droits qui pourraient m’appartenir par les lettres patentes ou actes par lesquels le Roi mon grand-père me conserve le droit de succession à la couronne de France. Lesquelles lettres patentes furent données à Versailles au mois de décembre de l’année 1700, et enregistrées au Parlement. Je veux qu’elles ne me puissent servi de fondement pour les effets qui y sont prévus. Je les rejette et y renonce, et les regarde comme nulles, d’aucune valeur, comme si elles n’avaient jamais été données.
Je promets et m’oblige en foi et parole de Roi que, de ma part et de celle de mes dits enfants et descendants, nés et à naître, je procurerai l’observation et l’accomplissement de cet acte, sans permettre ni consentir qu’il y soit contrevenu directement, en tout ou en partie. »_
Cet acte fut enregistré par les Cortes espagnoles, garanti par Louis XIV dans les lettres patentes du 15 mai 1713, enregistré par le Parlement de Paris, et inscrit en annexe au Traité franco-britannique d'Utrecht, ainsi qu'au Traité hispano-britannique.

La Renonciation de Charles, Duc de Berry, avait été signée à Marly le 24 novembre 1712,: "le Roy, notre très-honoré seigneur et ayeul, et le Roy d'Espagne, nostre très cher frère, sont convenus et demeurent d'accord avec la Reine de la Grande-Bretagne, qu'il sera fait des Renonciations réciproques pour tous les Princes et futurs héritiers de ladite Couronne de France et de celle d'Espagne, à tous droits qui peuvent appartenir à chacun d'eux sur la succession de l'un et l'autre Royaume, en établissant un droit habituel à la succession de la Couronne d'Espagne, dans la ligne qui sera habilitée et déclarée immédiate à celle du Roy Philippe V nostre frère (…) ; que de nostre costé, nous renoncerons aussi, pour nous et pour nos descendants, à la Couronne d'Espagne; que le Duc d'Orléans, nostre très-cher oncle, fera la même chose; de sorte que toutes les lignes de France et d'Espagne, respectivement et relativement, seront exclues pour toujours et en toutes manières de tous les droits que les lignes de France pourraient avoir à la Couronne d'Espagne, et les lignes d'Espagne à la Couronne de France; et enfin que l'on empêchera que, sous prétexte des dites Renonciations, ny sous quelque autre prétexte que ce soit, la Maison d'Autriche n'exerce les prétentions qu'elle pourrait avoir à la succession de la monarchie d'Espagne, d'autant qu'ne unissant cette monarchie aux pays et Estats héréditaires de cette Maison, elle serait formidable, même dans l'union de l'Empire aux autres puissances qui sont entre deux, et se trouveraient comme enveloppées, ce qui détruirait l'égalité qu'on établit aujourd'hui pour assurer et affermir plus parfaitement la paix de la chrétienté (…)"

Le Duc de Berry ayant rappelé la nécessité de séparer et d'exclure de la succession espagnole tant ses propres descendants que ceux de la Maison d'Autriche, s’exprimait ainsi : "nous ratifions les clauses de leurs _Anne d'Autriche, épouse de Louis XIII, et Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV_ Testaments et les Renonciations faites par lesdites dames nos ayeule et bizayeule ; nous renonçons pareillement au droit qui nous peut appartenir et à nos enfants et descendants, en vertu du Testament du Roy Charles II, qui nonobstant ce qui est rapporté ci-dessus, nous appelle à la Couronne d'Espagne (…)"_. Cette dernière clause annulait les effets de la loi soumise par Philippe V en 1703 à l'approbation des Cortes, et qui invalidait les Renonciations des deux Infantes. La Renonciation du Duc de Berry, et celle de son cousin Orléans, furent enregistrées en bonne et due forme par les Cortes. On voit ici que c'est non seulement la nature réciproque de ces Renonciations qui est soulignée, mais également l'intention de garantir la Couronne espagnole aux descendants de Philippe V, et d'empêcher la Maison d'Autriche de revendiquer le Trône d'Espagne. Etant donné que l'Empereur refusait de renoncer à ses revendications, il s'ensuivait que cette Renonciation demeurait conditionnelle.

Le Duc d'Orléans tenait ses droits de sa grand-mère, Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, mais son nom avait été omis de la liste établie dans le Testament de Charles II et répertoriant tous ses héritiers potentiels. Le Duc avait en conséquence demandé à Philippe V, son cousin, d’en attester. A cet effet, Philippe V fit instaurer la loi de 1703, rétablissant les descendants d’Anne dans leurs droits. La Renonciation réciproque du Duc d'Orléans était formulée en termes semblables à celle de son cousin Berry, et commençait également par l'affirmation que sa motivation principale était de ramener la paix et de séparer les deux Couronnes de France et d'Espagne. Dans ce but, « il seroit fait des renonciations réciproques ; savoir, par le Roi Catholique Philippe V nostre neveu, pour lui et pour tous ses descendants à la succession de la couronne de France, comme aussi par le Duc de Berry, nostre très-cher neveu, et par nous, pour nous et pour tous nos déscendants, à la couronne d'Espagne; à condition aussi que la maison d'Autriche, ny aucun de ses déscendants, ne pourront succéder à la couronne d'Espagne, parce que cette maison, même sans l'union de l'Empire, seroit formidable, si elle ajoutoit une nouvelle puissance à ses anciens domaines; et, par conséquent, cet équilibre qu'on veut établir, pour le bien de tous les Princes et les États de l'Europe, cesseroit (…) Nous avons résolu de faire ce désistement, cette abdication et cette renonciation de tous nos droits, pour nous et au nom de tous nos successeurs et déscendants. Et pour l'accomplissement de cette résolution, que nous avons prise de notre pure, libre et franche volonté, nous déclarons et nous tenons dès à-présent, nous, nos enfants et déscendants pour exclus, inhabiles, absolument et à jamais, et sans limitation , ny distinction de personnes, de degrés et de sexe, de toute action, de tout droit à la succession de la couronne d'Espagne. Nous voulons et consentons pour nous et nos déscendants que, dès maintenant et pour toujours, on nous tienne, nous et les nostres, pour exclus, inhabiles et incapables, en quelque degrez que nous nous trouvions, et de quelque manière que la succession puisse arriver à nostre ligne, et àtoutes les autres, soit de la maison de France, soit de celle d'Autriche, et tous les déscendants de l'une et de l'autre maison , qui, comme il est dit et supposé, doivent aussi se tenir pour retranchées et exclues (…). » _ Non seulement le Duc d'Orléans insistait-il sur la nature réciproque de sa Renonciation, mais il la reliait explicitement à la condition que la Maison d'Autriche fût exclue de la succession d'Espagne.

Louis XIV, par lettres patentes en date des 1er et 10 mars 1713, entérinait les Renonciations réciproques des Ducs de Berry et d'Orléans, confirmant en outre que ces Renonciations engageaient tous leurs descendants, les hommes comme les femmes : « comme aussi la renonciation de notre petit-fils le Duc de Berry, celle de notre dit neveu le Duc d’Orléans, sont réciproques et relatives à leurs droits à la Couronne d’Espagne, pour eux-mêmes et pour leurs descendants mâles et femelles (…) Nous désirons confirmer que par ladite renonciation de notre dit frère et petit-fils le Roi d’Espagne, il sera désormais reconnu et considéré comme exclu de notre succession, que ses héritiers, successeurs et descendants seront exclus en perpétuité et considérés inhabiles à recouvrer ces droits. » De toute évidence, ces textes ont été rédigés dans le dessein de satisfaire les adversaires de la France, désireux de garantir la nature irrévocable et définitive des Renonciations. Les termes de détail de ces Renonciations, où l’on semble avoir voulu parer à toute éventualité, ne peuvent faire l'objet d'une lecture sélective. Leur caractère de réciprocité est évident : l'invalidation des Renonciations de l’une des parties dégagerait immédiatement l'autre de ses obligations. Tout aussi évident est leur principe commun : l’exclusion définitive de la Maison d'Autriche de la succession. Enfin on ne pourrait négliger la portée de ces Renonciations, excluant perpétuellement de la succession tant les hommes que les femmes (ces dernières étant, en tout état de cause, exclues de la succession française et incapables de transmettre aucun droit). Ainsi, tout individu né d'une union entre un descendant de Philippe V et un membre de la branche Orléans serait évincé de la succession espagnole : cette exclusion aurait pu concerner les descendants mâles et légitimes de Philippe V, pour la succession aux deux Trônes. De la même manière, les descendants d'une union entre un Prince du Sang et une Infante d’Espagne seraient exclus par l’effet combiné des trois Renonciations. Si ces Renonciations écartaient de la succession certains des descendants de ces Princes, elles devaient les écarter tous ; si elles ne devaient exclure que certains de ces descendants, alors elles n’en devaient exclure aucun.

Des événements qu’on ne pouvait prévoir en 1713, rendirent bientôt ces arrangements caduques. De fait, tout au long de leur histoire, la seule constante des relations entre les deux peuples français et espagnol fut leur désir commun de rester indépendants et de se gouverner eux-mêmes (dans les limites imposées plus tard par l'Union Européenne). Aucune des deux nations n'aurait toléré de se voir réunies sous la même Couronne : si l'on avait compris ce point, et conclu des compromis à cette seule fin, l'arrangement qui en aurait résulté aurait sans doute été viable. Tel était l'objectif implicite de tous les Traités gouvernant les relations entre ces Etats dans les trente premières années du XVIIIe siècle.

Au-delà de l'examen des textes de ces Renonciations, ajoutons que les commentateurs de l'époque considéraient que la Renonciation à des droits futurs sur un Trône était irrecevable en droit, puisque la succession était régie par des lois fondamentales, bien connues et inaltérables. Ces lois fondamentales dictaient que la succession de la Couronne de France se fît selon l'ordre de la primogéniture mâle ; l'héritier de la Couronne devait être catholique et français, bien que ces conditions pussent être remplies par conversion ou naturalisation (comme ce fut le cas en 1589-1594 lors de l'avènement d'Henri IV). C'est pourquoi Torcy écrivait (voir ci-dessus) que si le Roi d'Espagne signait une telle Renonciation, cet acte seul ne pouvait atteindre l'objectif souhaité, dans la mesure où il n'engageait pas ses héritiers.

Louis XIV n'avait jamais considéré que les Renonciations de sa mère ou de sa femme l'engageaient, et Charles II, dernier Habsbourg à régner sur l'Espagne, n’avait consenti à des Renonciations que dans le dessein de séparer à jamais les deux Couronnes. Chacune des deux Renonciations antérieures avait été enregistrée par les Cortes espagnoles et par le parlement de Paris, condition essentielle en France pour donner force de loi à un édit royal. En 1712, lorsque les pairs demandèrent à Saint-Simon d'adresser au Roi une recommandation sur la forme de l'acte de Renonciation que devrait signer Philippe V, celui-ci écrivit qu'un tel procédé était impropre à entériner une Renonciation dynastique, puisque les deux Renonciations précédentes, avaient été invalidées, malgré leur enregistrement par les Cortes et le Parlement. Saint-Simon soumit lui-même des propositions complexes en vue de la validation des Renonciations ultérieures ; elles restèrent lettre morte. La question demeurait posée de savoir pourquoi des textes considérés comme nuls et non-avenus lorsqu'il s'était agi d'enregistrer les Renonciations espagnoles de 1612-1619 et 1659-1660 devenaient recevables lorsqu'ils étaient rédigés sous la même forme en 1713. De fait, les droits mêmes de Philippe V sur le Trône avaient été acquis en dépit des Renonciations solennelles effectuées par sa grand-mère et son arrière grand-mère, et aux termes desquelles une telle succession était impossible. Saint-Simon décrivait ainsi ce qui s'ensuivit :
« On a dit sur cette matière tout ce dont, à peu près, elle se trouve susceptible, et la matière est encore plus éclaircie parmi les pièces. Ce serait donc répéter inutilement que vouloir représenter de nouveau ce que peuvent être des renonciations à la couronne de France d’un prince et d’une branche aînée en faveur de ses cadets, contre l’odre constant et jamais interrompu depuis Hugues Capet, sans que la France l’accepte par une loi nouvelle, dérogeante à celle de tous les siècles, et par une loi revêtue des formes et de la liberté qui puissent lui acquérir la force et la solidité nécessaire à un acte si important ; et la renonciation à leur droit à la couronne d’Espagne, uniquement fondée sur celle au droit à la France et sur l’accession plus prochaine par le retranchement de toute une branche en faveur de deux princes et de la leur, et des autres des princes de sang après, suivant leur aînesse, qui, soumis au roi le plus absolu et le plus jaloux de l’être qui ait jamais régné, grand-père de l’un, oncle et beau-père de l’autre, grand-père encore d’une autre façon des deux princes du sang, sont forcés d’assister avec les pairs à la lecture et à l’enregistrement de ces actes, sans qu’avec leur lecture, on ait auparavant exposé, moins encore traité la matière, ni, après, que personne ait été interpellé d’opiner, ni que, si on l’avait été, personne eût osé dire un seul mot que de simple approbation. C’est néanmoins tout ce qui fut fait, comme on le va voir, pour opérer ce grand acte destiné à régler, d’une manière jusqu’alors inouïe en France, un ordre nouveau d’y succéder à la couronne, d’en consolider un autre guère moins étrange de succéder à la monarchie d’Espagne, et assurer par là le repos à toute l’Europe, qui ne l’avait pu trouver à l’égard de l’Espagne seule dans la solennité des renonciations du traité des Pyrénées et des contrats de mariage de Louis XIII et de Louis XIV, tous enregistrés au Parlement, et le traité des Pyrénées et le contrat de mariage de Louis XIV avec ses plus expresses renonciations, faits et signés aux frontières par les deux premiers ministres de France et d’Espagne en personne, et jurés solennellement par les deux rois en présence l’un de l’autre, au milieu des deux cours. On ne sent que trop l’extrême différence de ce qui se passa alors avec ce qui vient d’être présenté, et qui va être raconté, et si, lors de la paix des Pyrénées et du mariage du Roi, il ne s’agissait pas d’intervertir l’ordre de succession à la couronne de Franc, et d’y en établir un dont tous les siècles n’avaient jamais ouï parler.

Ce culte suprême dont le Roi était si jaloux pour son autorité, parce que son établissement solide avait été le soin le plus cher et le plus suivi de toute sa longue vie, ne put donc recevoir la moindre atteinte ni par la nouveauté du fait, ni par l’excès de son importance pour le dedans, pour le dehors, pour sa propre maison, ni par la considération de sa plus intime famille, ni par celle que cette idole, à qui il sacrifiait tout, allait bientôt lui échapper à son âge, et le laisser paraître nu devant Dieu comme le dernier de ses sujets. Tout ce qu’on put obtenir pour rendre la chose plus solennelle, fut l’assistance des pairs. Encore sa délicatesse fut-elle si grande, qu’il se voulait contenter de dire en général qu’il désirait que les pairs se trouvassent au Parlement pour les Renonciations. Je le sus quatre jours auparavant ; je parlai à plusieurs et je dis à M. le duc d’Orléans que, si le Roi se contentait de s’expliquer de la sorte, il pouvait compter qu’aucun pair n’irait au Parlement, et que c’était à lui à voir ce qui lui convenait là-dessus pour tirer d’une méchante paye ce qu’il serait possible ; mais que, si les pairs n’étaient pas invités de sa part, chacun par le grand maître des cérémonies, ainsi qu’il s’est toujours pratiqué, pas un seul ne se trouverait au Parlement. Cet avis ferme, et qui eût été suivi de l’effet comme on a vu qu’il était arrivé sur le service de Monseigneur à Saint-Denis, réussit. M.le duc d’Orléans et M. le duc de Berry en parlèrent au Roi, et insistèrent : de manière que Dreux alla lui-même chez tous les pairs qui logeaient au château à Versailles, et, à ceux qu’il ne trouva point, leur laissa le bille t qui se trouvera dans les Pièces, portant que M. le duc tel est averti de la part du Roi qu’il se traitera tel jour au Parlement de matières très importantes, auxquelles Sa Majesté désire qu’il assiste. Signé : DREUX, et daté. A ceux qui étaient à Paris, il se contenta de leur envoyer le billet ; pour les princes du sang et légitimés, il fallut qu’il les trouvât : ainsi, ils n’eurent point de billet. Les Anglais enfin, n’ayant pu obtenir mieux, et pressés au dernier point, comme on l’a dit, de finir, voulurent bien se persuader que
c’était tout ce qui se pouvait faire. » _.

A l'époque de ces Renonciations, la succession en Espagne était toujours régie par le système mixte de succession par les hommes et par les femmes, établi définitivement à la fin du XIIIè siècle. Philippe décida de limiter la succession espagnole d'abord à la seule branche mâle, puis par défaut aux femmes, afin de garantir le trône à ses descendants. Cette exigence fait l’objet d’une condition de sa Renonciation, clairement indiquée à ses alliés durant les négociations préliminaires au Traité d'Utrecht. De fait l'Espagne et la Grande-Bretagne attendirent que ce problème ait été résolu avant de conclure leur paix par le second Traité d'Utrecht (où la nouvelle loi fut portée en annexe). S'il n'avait pas insisté sur ce point, Philippe aurait risqué de voir sa branche, à une ou deux générations de distance, privée de ses droits à la fois sur le Trône de France et sur le Trône d’Espagne. Telle était la raison pour laquelle Philippe V introduisit le nouveau système de succession en Espagne le 17 mai 1713 : un système semi-salique, qui donnait priorité à sa descendance mâle, tout en prévoyant que, dans l'éventualité de l'extinction de cette branche, le Trône passerait à la femme la plus proche. Les Cortes refusèrent d'abord d'enregistrer ce décret qui contrevenait si évidemment à des siècles de tradition dynastique en Espagne. Le Roi présenta donc une deuxième fois son décret au Conseil de Castille, qui, dans un premier temps, le rejeta également. Philippe V ne put, en dernier lieu, obtenir l'enregistrement de cet acte qu'en demandant individuellement aux membres du Conseil de donner leur accord, manœuvre qui aboutit enfin. Il n'apparaissait toutefois pas clairement que cette modification Constitutionnelle était conforme à la loi espagnole, tant elle introduisait un de bouleversements considérables dans la succession. _VOIR NOTE 14_. Néanmoins, la nouvelle loi fut incluse dans toutes les compilations ultérieures des lois espagnoles ; elle fut ainsi  ratifiée par la Couronne et les Cortes, jusqu'à la Novisima Recopilaciòn  de 1803, publiée après le Décret de Charles IV de 1789 (voir ci-dessous).

Le nouveau principe de succession semi-salique signifiait que la réunion des deux Royaumes, par un mariage entre les deux branches, ne pouvait avoir lieu que dans la seule éventualité d'une extinction de la branche mâle descendant de Philippe V. Cette loi fut abolie en 1830-1833, au moyen de la validation d'un décret pragmatique de Charles IV promulgué en 1789, et approuvé unanimement par les Cortes réunies en session secrète. Cette loi n'avait pas été mise en application, car la Reine avait donné naissance à plusieurs autres fils ; la loi ne fut pas non plus incluse dans les compilations ultérieures de la loi espagnole. La réintroduction du principe de succession antérieur s’accordait avec les traditions juridique et dynastique d’Espagne bien qu'elle différât de la loi salique française et de la loi semi-salique introduite dans les Deux-Siciles ; cette loi privait également la Maison de Bourbon de la succession automatique au Trône d'Espagne, un point qui avait été au centre des Traités de 1713-1725.

Les règles de la succession reposaient sur la primogéniture mâle—les constitutionalistes français s'accordent tous sur ce point. Il fallait donc qu'un appareil législatif assurât l’exclusion définitive de la branche espagnole. D’aucuns estiment que les Traités d'Utrecht et les Renonciations y ont réussi : mais c’est oublier que les Renonciations similaires de 1612-1619 et 1659-1660, également garanties par un Traité, auraient dû interdire aux deux Infantes de transmettre leurs droits espagnols à leurs descendants. Les procédés employés au XVIIe siècle, pour mettre en application les premières Renonciations, avaient été insuffisants à modifier les lois fondamentales. Comment seraient-ils devenus efficaces cinquante ans plus tard ? Les deux Renonciations antérieures, ainsi que le Traité des Pyrénées et le Testament de Philippe IV, furent déclarés nuls et non avenus en 1700. Les Renonciations des Ducs de Berry et d'Orléans consistaient également en une abdication de leurs droits à la succession espagnole ; elles avaient la même solennité et le même poids juridique, et entretenaient un lien de réciprocité avec la Renonciation de Philippe V. Si les premières n'étaient pas recevables, comment les suivantes, également définies par leur réciprocité, auraient-elles pu avoir force de loi ? Si elles étaient elles-mêmes nulles, quelles conséquences leur nullité avait-elle sur la Renonciation réciproque de Philippe V ? La Renonciation de 1659-1660 avait été garantie par un Traité entre les deux Etats directement concernés. Or aucun Traité passé entre la France et l'Espagne ne vint entériner les Renonciations de 1712—les Traités d'Utrecht avaient été signés avec la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, nations qui ne prenaient aucun intérêt direct ni justifié aux successions.

Un éminent constitutionaliste français contemporain écrit à ce propos : « la première des lois fondamentales est la loi salique“gravée dans le cœur des Français“ , confirmée par l’arrêt Lemaistre, rendu par le Parlement de Paris le 28 juin 1593 (…). Cette loi est imposée au Roi. Elle ne dépend pas de sa volonté. De plus, le droit royal et le pouvoir royal dépendent de l’autorité de la Loi du Royaume (…). C’est une loi constitutionnelle, antérieure aux lois ordinaires, s’imposant au respect du pouvoir législatif, qui ne peut être ni abrogée ni modifiée(…). Au Traité d’Utrecht de 1713, les Anglais forcèrent l’ancien Duc d’Anjou, Philippe V Roi d’Espagne, à renoncer à la Couronne de France. Mais cette renonciation était nulle, puisque nul héritier éventuel ne peut renoncer à ses doits, car ils sont fixés par le droit coutumier du Royaume. Philippe V et ses descendants conservent tous leurs droits à la Couronne de France. »_. Dans un texte plus récent, le même Constitutionaliste affirme : «  De fait, la renonciation du duc d’Anjou, fils du Grand Dauphin, qui est devenu Roi d’Espagne, au trône de France, est nulle selon la loi ; en vertu du droit coutumier français,, un fils de France ne peut pas renoncer à ses droits à la Couronne. »_

Les Renonciations posaient un autre problème : celui des revendications autrichiennes. Le présupposé des Renonciations et des Traités était que Philippe V, en renonçant ou en déclarant renoncer à ses droits français, acquérait des droits fermes sur le Trône d'Espagne pour lui et pour ses descendants, en compensation. Toutefois, tant que l'Autriche maintenait ses revendications sur l'Espagne, cette Renonciation était (selon les termes de Ledran, fonctionnaire du Ministère des Affaires Etrangères de la France, voir plus loin) transitoires et douteux. Qui plus est, si cette garantie devait être abrogée, comme elle le fut par un décret unilatéral des Cortes espagnoles de 1811-1812, et par la Sanction Pragmatique de 1832-1833 (voir plus loin), un point crucial de la justification de la modification de la loi fondamentale serait infirmé.

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Les Traités d'Utrecht, les Renonciations de 1712 et la succession à la tête de la Maison de France

Troisième partie : la portée des Traités et les conséquences sur les relations entre les puissances au XVIIIe siècle

Guy Stair Sainty
(Trans. Arnaud Odier)

À la mort de Louis XIV, la seule personne qui s’interposait entre Philippe V et la Couronne de France était le jeune Louis XV. Âgé de cinq ans, l'arrière petit-fils du Roi avait perdu son père trois ans plus tôt. On cherchait alors à lui trouver une épouse, et lorsqu’il tomba gravement malade en 1723, l'inquiétude grandit. Si le Roi avait dû mourir, la question de la validité des Renonciations se serait immédiatement posée ; de fait, les Archives Nationales conservent un ensemble de commentaires et de correspondance portant sur les conséquences de la mort éventuelle du jeune Roi_. Le Maréchal Duc de Villars estimait que les Renonciations contrevenaient aux lois du Royaume, qui assuraient à jamais la succession à la branche aînée de la Maison de France. Le Régent, Duc de Bourbon, craignait qu’une guerre civile n’éclatât, étant donnés les droits incontestables de Philippe V. Un mémoire anonyme laissait entendre que le Duc de Bourbon souhaitait ardemment marier le Roi : s'il venait à mourir, la Reine pourrait se déclarer enceinte, laissant à Philippe V assez de temps pour rentrer en France et consolider sa position avant que le Duc d'Orléans ne se proclame Roi à sa place_.

On pourrait se demander ce qui se serait passé si Louis XV était mort en 1723. Le Testament de Charles II en 1700 stipulait que si le Duc d'Anjou venait à mourir, ou succédait au Trône de France, il serait suivi du Duc de Berry, puis de l'Archiduc Charles et enfin du Duc de Savoie. La nouvelle loi de succession introduite en 1713 et ratifiée par le Traité d'Utrecht (mais non par l'Empereur qui ne l'approuva, à contrecœur, qu'en 1718-1720), évinçait le Duc de Berry et l'Archiduc Charles, stipulant que la Couronne reviendrait au Duc de Savoie. Le Duc de Berry, entre temps, était mort sans descendance, et l'Archiduc était devenu Empereur. Philippe avait alors plusieurs fils, et il semble vraisemblable que le Trône d'Espagne aurait été dévolu à un fils cadet, comme cela avait été le cas lorsque le Dauphin, Duc de Bourgogne et frère aîné de Philippe, avait été dépossédé au profit de Philippe en 1700. Dès lors, Philippe serait probablement rentré en France, suivi de son fils aîné, Luis, et c’est son deuxième fils, Ferdinand qui serait devenu Roi d'Espagne. Luis mourut un an plus tard en 1724 ; sa disparition aurait entraîné un nouvel ajustement, Ferdinand devenant Dauphin, et le fils aîné du second mariage de Philippe, l'Infant Don Carlos, accédant au Trône d'Espagne. Ferdinand mourut sans descendance en 1759 ; Charles aurait pu devenir Roi de France, suivi de son fils aîné (déficient mental, il mourut avant son père) puis de son fils cadet le futur Charles IV, tandis que l'Infant Don Ferdinand (qui devint Roi des Deux-Siciles en 1759, succédant à son père) serait devenu Roi d'Espagne. Inutile de spéculer plus avant, puisqu'il est peu probable que le même réseau de mariages et d'alliances s’en serait suivi, mais peut-être Charles (connu sous le nom de Charles III en Espagne, il aurait pris le nom de Charles X en France), souverain brillant et capable, aurait-il su empêcher la Révolution…

On peut juger de l’opinion du successeur de Louis XIV, à propos de l'Edit de 1717 sur les droits et les titres des bâtards légitimés, atteinte manifeste à la loi fondamentale. Un édit royal de juillet 1714 (enregistré par dit de justice le 2 août 1714) et une déclaration du 23 mai 1715 avaient conféré aux bâtards de Louis XIV les droits, titres et privilèges des Princes du Sang, nantis d’un droit de succession dans l'éventualité d'une extinction des descendants des autres Princes du Sang. Cette infraction manifeste aux lois fondamentales avait soulevé une violente opposition, bien que personne ne se fût élevé clairement contre l’absolutisme de Louis XIV. Après sa mort en 1715, l'abolition de ces clauses était une priorité pour les Princes du Sang : non qu'il y eût un risque immédiat de voir l’un des bâtards accéder au Trône ; en revanche ils avaient acquis un grand nombre de privilèges directs, jusqu'à présent réservés aux Princes du Sang. Cet édit représentait un danger extrême, dans la mesure où il constituait un précédent, autorisant le Roi à changer les règles de succession comme bon lui semblait. Les Renonciations offraient moins de sujets d’inquiétude. Il n’était guère utile de les faire révoquer, tant que les circonstances n’exigeaient pas qu’elles prissent effet ; mais, si la France s’y était hasardée, les nombreux désordres qui s’en seraient immanquablement suivis auraient fait peser une menace considérable sur la paix entre les nations.

Une solution fut trouvée. Le nouveau Roi (agissant en tant que mineur sur avis du Régent) accordait aux Bâtards, par un décret enregistré le 8 juillet 1717, la même préséance à la cour que les Princes légitimes, mais n’étaient plus reconnus Princes du Sang, "comme aussi sans qu'ils puissent se dire et qualifier Princes de nostre Sang ny que ladite qualité puisse leur estre donnée". Ce décret venait révoquer l’édit de Louis XIV, et énonçait que les lois fondamentales du Royaume interdisaient au défunt Roi de disposer de la Couronne selon son bon vouloir. Louis XV soulignait son désir de préserver les règles de succession dynastique, « gardant entre eux l'ordre de succession et préfèr_a_nt toujours la branche aînée à la cadette » ce qui signifiait que la branche espagnole venait après le Roi lui-même_. Le principe selon lequel les Princes du Sang devaient être nés de l'épouse légitime du Roi ou d'autres Princes du Sang (principe énoncé par le Chancelier à la suite du Traité de Montmartre du 6 février 1662, alors que Louis XIV tentait de donner ce rang aux Princes de Lorraine) fut confirmé par ce décret. Le principe selon lequel un tel rang était inaliénable était de même solidement démontré_.

Parmi les commentaires des contemporains sur l’effet des Renonciations de 1712 (du moins parmi ceux qui sont parvenus jusqu’à nous) aucun n’évoque explicitement l’union éventuelle de descendants de Philippe V et de Princes français. Ils diffèrent en cela des Préliminaires de La Haye de 1709, qui comprenaient l’interdiction de mariages entre souverains français et espagnols. Le principal enjeu des débats à Utrecht avait été l'équilibre des puissances, la séparation perpétuelle des deux Couronnes et des souverainetés, et la répartition des territoires. Le Roi d’Espagne avait renoncé à ses droits français, dans l'assurance d'une garantie de ses droits espagnols… Mais en l’absence de l'Empereur, et de sa renonciation à l'Espagne, aucune assurance ne put être donnée à Philippe V. Non seulement l'Empereur refusa de renoncer, mais par son Décret Pragmatique du 19 août 1713, publié en 1719 dans le dessein d'établir les droits de sa fille, l'Archiduchesse Marie-Thérèse, à la succession, il maintint ses revendications territoriales sur l'Espagne. Lors de la reprise des négociations entre la France et l'Empire, Louis XIV avait exigé, dans ses recommandations à ses plénipotentiaires, qu'ils débattissent avec les Ministres de l'Empire les termes d'un accord sur l'Espagne. Ces derniers refusèrent cependant d'évoquer la moindre Renonciation de leur souverain à ses droits sur le Trône d'Espagne. Le Traité de paix signé le 6 Mars 1714 avec la France à Baden-Rastadt, cédait donc à l'Empire la possession des Pays-Bas, sans la participation ni le consentement de l'Espagne. C'est pourquoi Philippe V refusa de rendre les possessions territoriales confisquées par les partisans de l'Empereur, tant que ce dernier n'abandonnait pas ses revendications. A la même époque, un certain nombre de Princes Italiens, alliés de longue date de l'Espagne, firent savoir qu’ils refusaient de reconnaître l'Empereur comme suzerain.

Les Archives du Ministère des Affaires Etrangères à Paris conservent un important mémoire intitulé : " Historique sur l'Union ou Pacte de Famille entre les Couronnes de France et d'Espagne depuis le commencement du XVIIIe siècle, jusqu'au Pacte de Famille conclu en novembre 1733 entre le Roi de France Louis XV et le Roi d'Espagne Philippe V, comme chefs des deux branches Royales de la Maison de Bourbon / Union entre la France et l'Espagne de 1700 à 1733". Ce mémoire a pour auteur M. Ledran, du Ministère des Affaires Etrangères, et fait figure de recommandation au ministre pour les négociations du premier Pacte de Famille de 1733_.
Dans son récit de l'enregistrement des lettres patentes entérinant la Renonciation de Philippe V, Ledran écrit (p 29) que Philippe V avait "compté que les Royaumes et Etats de la Monarchie espagnole lui seraient assurés sans démembrement" mais qu'il fut forcé d'accepter la perte des Etats italiens pour être reconnu Roi des Etats espagnols restants. Puis Ledran continue (p 31) : "Des politiques en France et ailleurs paraissaient alors douter, que la possession de l'Espagne et des Indes par le Roi Philippe V dût être regardée comme lui étant assurée assez solidement, tant que l'Empereur Charles VI paraîtrait vouloir conserver les droits qu'il avait fait valoir à main armée sur la Monarchie d'Espagne, et auxquels il avait refusé formellement de renoncer; en effet, dans cette incertitude, la Renonciation de Sa Majesté Catholique pour lui et pour sa descendance à ses droits sur la succession à la Couronne de France, pouvait être regardée seulement comme provisionnelle, et conséquemment douteuse, puisqu'il pouvait arriver que cet Empereur ou ses hoirs et ayant cause renouvellent la guerre, fissent la conquête de l'Espagne. De sorte qu'en le cas, le Roi Catholique Philippe V ou ses hoirs et ayant cause pourraient prétendre de rentrer dans tous leurs droits sur la Couronne de France, droits imprescriptibles selon les lois fondamentales du Royaume; dans ce doute des choses à venir, le Duc d'Orléans Régent jugea devoir rechercher l'alliance des deux Puissances qui avaient le plus contribué durant le Congrès d'Utrecht à établir la paix générale de l'Europe sur le fondement des Renonciations réciproques entre les deux branches de la Maison de Bourbon établies en France et en Espagne._"

La rupture qui s’ensuivit entre la France et l'Espagne donna lieu à la Triple Alliance, conclue le 4 janvier 1717 entre la France, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Peu de temps après, l'Espagne envahit la Sardaigne (qui avait été cédée à l'Empereur) et la Sicile (donnée au Duc de Savoie), en violation des termes des Traités d'Utrecht. La France dut envahir l'Espagne, en vertu des termes de la Triple Alliance, pour ramener de force son ancienne alliée à la table des négociations. Les troupes françaises étaient placées sous commandement du Duc de Berwick, Maréchal de France, ancien Commandant en Chef des armées à qui Philippe V devait de régner sur l'Espagne. Les Français l'emportèrent en peu de temps. La France et la Grande-Bretagne étaient à nouveau contraintes de s'allier, afin de ramener la paix entre l'Espagne et l'Empereur, à l’origine selon eux du conflit international. Au sein de la Quadruple Alliance, par le Traité de Londres du 2 août 1718, les trois puissances de l'ancienne Triple Alliance (les Pays-Bas se retirèrent à la dernière minute et furent remplacés par la Savoie) auxquelles venait s’ajouter l'Empereur, parvinrent à un nouvel accord, mais sans consulter l'Espagne qui refusait de participer. L'Article I de cet accord stipulait : "comme ainsi soit que l'unique moyen qu'on a pu trouver pour établir un équilibre durable en Europe, a paru être qu'on établît pour règle que les Royaumes d'Espagne et de France ne pussent en aucun temps être réunis sur la tête d'une seule et même personne, ni remises en un seul corps à une seule et même lignée régnante, et que ces deux monarchies doivent rester perpétuellement séparées; pour confirmer cette règle si nécessaire à la tranquillité publique, les Princes auxquels la prérogative de la naissance pouvait donner le droit de succéder dans l'une et l'autre Royaume ont renoncé à l'un des deux ordres pour eux et pour leur postérité, tellement que la séparation des deux monarchies a passé en loi fondamentale des deux Etats. " Dans le cas où la Renonciation de Philippe V était reconnue effective, le Duc d'Orléans devenait l'héritier direct du petit Roi de sept ans ; d’autre part, les puissances alliées connaissaient les objections françaises aux Renonciations, en tant qu’elles enfreignaient à la loi fondamentale. Le Duc d’Orléans et les dirigeants de ces nations étaient donc très soucieux d'affirmer qu'une nouvelle loi fondamentale avait été promulguée. Une lecture attentive de ces textes révèle cependant que c'est la séparation des deux Couronnes qui était entrée dans la loi fondamentale, et non l'exclusion réciproque des deux branches.

Le Traité poursuit ( dans le même article) : "Sa Majesté Impériale, voulant donner le dernier complément à une loi si salutaire et si nécessaire, et soulever tout prétexte de sinistre soupçon de sa part, déclare accepter les articles réglés et convenus à Utrecht touchant l'ordre de succession aux Trônes d'Espagne et de France, et renonce tant pour lui que pour ses descendants et successeurs de tout sexe, à tous les droits et prétentions universellement quelconques qu'elle pourrait avoir sur les provinces de la domination espagnole, dont par le Traité d'Utrecht le Roi Catholique a été reconnu légitime souverain et possesseur ; Sa Majesté Impériale promet ici conséquemment d'en rédiger acte de Renonciation solennelle, et d'en délivrer instrument en forme tant à Sa Majesté Catholique qu'aux parties contractantes". Article 2. "En exécution de ladite Renonciation que Sa Majesté Impériale a faite par attachement pour la sécurité générale de l'Europe, et aussi en considération de ce que M. le Duc d'Orléans a renoncé, pour lui et pour ses descendants, à ses droits et actions sur le Royaume d'Espagne (JURIBUS ET RATIONIBUS SUIS), sous la condition que l'Empereur ni aucun de ses descendants ne pût jamais succéder en Espagne; Sa Majesté Impériale reconnaît pour Roi légitime d'Espagne Philippe V, et promet à lui et à sa descendance masculine et féminine, la paisible possession de la monarchie espagnole."

Toutefois le Roi d'Espagne, qui ne comptait pas parmi les signataires du Traité, ne consentit pas à ses termes, bien que le Duc d'Orléans lui eût affirmé que les Britanniques promettaient de se retirer de Gibraltar s'il s'exécutait. Les Britanniques refusaient que cette clause fût incluse dans le Traité et Philippe concevait, à raison, des doutes sur leurs intentions réelles. L'Empereur fit rédiger une version préparatoire de la Renonciation tant attendue ; d’après le Duc d’Orléans, Philippe en accepta les termes, mais elle ne fut jamais rendue publique. De plus, le Duc d’Orléans avait permis à l’Empereur d’omettre le terme « perpétuelle » de la partie consacrée à la Renonciation proprement dite, lui assurant par ce moyen un prétexte d’annulation supplémentaire, en cas de modification de la situation_. L’Empereur affirmait qu’il ne renoncerait jamais aux titres de Roi d’Espagne et des Indes, mais que cela ne devait pas, de son point de vue, empêcher qu’on s’entende sur une paix définitive. Puis l’Empereur réaffirma bien vite ses droits sur l’Espagne en faisant republier le Décret Pragmatique de 1713.

Les troupes de Philippe V furent rejetées hors de la Sardaigne et de la Sicile peu de temps après. Par le Traité de La Haye des 16 et 17 janvier 1720, ratifiant le précédent Traité de Londres, il accepta de rendre la Sicile à l’Empereur_. Les deux souverains échangèrent par la suite leurs Renonciations, l’Empereur remettant la sienne en 1718, et Philippe V en 1720 à La Haye. Tout comme l’Empereur, Philippe biaisa: il omit le terme de « perpétuelle » de sa Renonciation ; c’est, comme on peut le supposer, non sans cynisme qu’il fit profession de reconnaître à l’Empereur la possession de la Sicile, alors qu’il avait auparavant déjà fait une promesse semblable et l’avait rompue moins de six ans plus tard. En reportant la discussion de ses droits à un Congrès où la France et la Grande-Bretagne joueraient le rôle de médiateurs, il affirmait plus clairement encore qu’il considérait qu’aucune de ces questions n’était définitivement résolue_.

Cet accord fragile et au final insatisfaisant entre l’Espagne et l’Empereur ne devait être que temporaire, comme le prouvait la décision de soumettre ses différents points à un Congrès. La réconciliation de la France et de l’Espagne qui s’ensuivit, conduisit à un pacte de protection mutuelle auquel la Grande-Bretagne souscrivit également—cette dernière, refusant toujours de céder Gibraltar. Ce pacte était dirigé contre l’Empereur, et garantissait la succession des descendants de la Reine d’Espagne à ses Duchés héréditaires de Parme et de Plaisance_. La possession des Duchés Farnèse avait à l’origine été accordée par le Pape et confirmée par l’Empereur, mais la question était de savoir si leur transmission se limitait à la descendance mâle des Farnèse, auquel cas ils reviendraient à l’Empereur (ou au Pape) à la mort de l’oncle de la Reine, Antonio, Duc de Parme. Si leur transmission n’était pas limitée aux mâles, comme l’affirmaient l’Espagne et ses nouvelles alliées la France et la Grande-Bretagne, alors la Reine d’Espagne Isabelle Farnèse était de fait leur héritière, et avait le droit, le cas échéant, de les recouvrer. La Reine Isabelle était également héritière du Grand Duché de Toscane, mais la question fut de nouveau posée de savoir si les textes d’origine, établis par l’Empereur, limitaient la succession à la descendance mâle, ou si le Grand Duché pouvait passer en vertu d’une loi semi-salique, qui les aurait donnés à une femme après l’extinction de la branche mâle. Ainsi l’Empereur gardait en main des atouts importants, comme de donner ou non son accord à la transmission de deux Etats italiens prospères à la Reine d’Espagne et à ses héritiers—un point sur lequel il refusa longtemps de s’engager.

Cette situation inspira le projet d’une double union matrimoniale : le Prince des Asturies épouserait Mademoiselle de Montpensier (la fille du Régent), et l’Infante Marie épouserait Louis XV-ce qui constituait déjà une rupture potentielle des termes des Renonciations de 1713. On imagina d’aller plus loin encore en donnant à l’Infant Carlos la main de Mademoiselle de Beaujolais, seconde fille du Régent. Le Congrès de Cambrai, qui devait régler les relations entre l’Empereur et l’Espagne, fut retardé par la mort du Régent, auquel succédait le Duc de Bourbon-le Congrès s’ouvrit enfin le 26 janvier 1724. Entre temps, Philippe avait abdiqué la Couronne Espagnole, et son fils aîné lui avait succédé sous le nom de Luis Ier, le 10 janvier 1724_.

Officiellement, Philippe V abdiquait en raison de son désir de quitter l’exercice pénible du pouvoir et de trouver une retraite paisible—de fait, il avait bel et bien souffert, au cours de sa vie, d’accès de dépression aiguë qui d’après les contemporains, le laissaient incapable de s’exprimer de manière cohérente. D’autres historiens suggèrent que Philippe V abdiquait pour mieux monter sur le Trône de France, au cas où le jeune Louis XV venait à être emporté par une de ces affections si courantes au début du XVIIe siècle. Quoi qu’il en soit, la mort soudaine du jeune Roi Luis Ier, le 31 août 1724, contraignit Philippe à reprendre son titre de Roi d’Espagne. L’abdication de Philippe avait été définitive et sans conditions, mais l’instruction qui s’ensuivit détermina qu’il pouvait légitimement reprendre la Couronne_. Le Congrès de Cambrai fut suspendu en raison de la crise du mariage de Louis XV, et les délégués ajournèrent les débats sine die.

Le Duc de Bourbon, devenu Premier Ministre, s’inquiétait de ce que le jeune Louis XV « témoignait à l’âge de quinze ans d’un tempérament vigoureux » (Ledran, op.cit.) , euphémisme désignant sa grande précocité sexuelle. Le Duc de Bourbon résolut de lui trouver une épouse nubile en lieu et place de sa promise actuelle, l’Infante, qui n’avait que sept ans. Cette décision provoqua de vives protestations de la part de l’Espagne humiliée. On procéda à un échange lamentable à la frontière : la jeune Reine d’Espagne, désormais veuve, et Mademoiselle de Beaujolais revenaient en France, tandis que l’Infante Marie retournait à Madrid. Cette nouvelle brouille avec la France entraîna un rappel des Ambassadeurs et un rapprochement entre l’Espagne et l’Empire. Par le Traité de Vienne du 30 avril 1725, les clauses des Traités d’Utrecht et de Baden concernant les Pays-Bas et l’Italie furent confirmées et ratifiées par Philippe, tandis que l’Empereur, par la ratification du 26 janvier 1726, confirmait sa reconnaissance officielle de Philippe comme Roi d’Espagne. L’Empereur n’en continua pas moins à se parer de ses titres espagnols, et à ignorer les protestations de son nouvel allié, Philippe V. En signe de sa volonté de rapprochement avec l’Espagne, l’Empereur offrit la main de sa fille de huit ans, l’Archiduchesse Marie-Thérèse, à l’Infant Carlos, encourageant cette alliance entre l’Espagne et les Etats héréditaires autrichiens, qui avait tant alarmé la France, treize ans auparavant. Charles venait en second dans l’ordre de succession à la Couronne d’Espagne, après son frère Ferdinand qui n’avait pas d’enfant ; une telle union aurait sapé l’objectif principal des Renonciations de 1712 et des Traités qui s’ensuivirent.

La France, irritée par cette nouvelle alliance dont l’esprit violait les termes des différents Traités antérieurs, réclama des compensations financières pour les dépenses qu’elle avait engagées dans la Guerre de Succession d’Espagne. L’Espagne d’autre part se montrait belliqueuse ; exigeant une fois de plus que les Britanniques se retirent de Gibraltar, les armées de Philippe V tentèrent une prise du Rocher. L’Espagne entreprit également de soutenir et de restaurer l’héritier Stuart sur le trône Britannique, sous le nom du Roi Jacques III ; cette dernière manœuvre constituait une violation de sa promesse, au volet  Anglo-Espagnol du Traité d’Utrecht, de reconnaître les droits de la Reine Anne et de ses successeurs.

Les relations franco-espagnoles s’améliorèrent grâce au Traité de Pau du 31 mai 1727, mais l’Espagne se lança à nouveau dans une action unilatérale en violation des Traités antérieurs : elle envoya des troupes en Italie pour assurer la succession de l’Infant Carlos aux Duchés de Parme et de Toscane, sans avoir obtenu le consentement de l’Empereur. L’Espagne, de toute évidence, s’était alors détachée du camp impérial, et obtint le soutien de la Grande-Bretagne et de la France par le Traité de Séville du 9 novembre 1729 pour ses revendications italiennes. L’Empereur, revenant sur ses entreprises antérieures, réaffirma le Décret Pragmatique de 1713, par lequel il posait les revendications Habsbourg sur tous les anciens Etats héréditaires, y compris l’Espagne. L’avènement futur de sa fille, en Bohême et dans les Etats héréditaires allemands, autrichiens, silésiens, et hongrois fut garanti par la France, de l’Espagne et de la Grande-Bretagne ; en échange l’Empereur promettait de reconnaître l’Infant Carlos et d’abandonner ses revendications perpétuelles sur le Trône d’Espagne. La promulgation, devant la Diète Impériale, de la Sanction Pragmatique, qui confirmait son décret de 1713 et avalisait la succession à venir de l’Archiduchesse aux Etats héréditaires, suscita les vives protestations des seuls Electeurs du Palatinat, de Bavière et de Saxe. Ces trois Princes refusaient d’entériner la succession de la fille de l’Empereur sans leur consentement individuel, et formulèrent des exigences multiples auxquelles l’Empereur finit, de mauvaise grâce, par se plier. Difficulté supplémentaire, alors que l’Empereur éprouvait désormais le besoin de trouver un allié puissant, la proposition du mariage entre l’Infant Carlos et Marie-Thérèse fut renouvelée, aboutissant à de nouvelles protestations françaises (formulées par le Garde des Sceaux au Comte de Rottembourg). Selon la France en effet, tout le sang versé afin de prévenir l’union de l’Espagne et de l’Autriche aurait été versé en vain.

En conséquence de ces renversements d’alliance, un vif débat s’engagea entre la France et l’Espagne au sujet de la nullité de tous les Traités antérieurs, étant donné qu’ils avaient été violés à de multiples reprises, et qu’ils étaient incompatibles sur un trop grand nombre de points. L'intégration éventuelle de l’Espagne dans les Etats héréditaires des Habsbourg par le mariage de l’Infant Carlos et l’Archiduchesse Marie-Thérèse rendait caduques les Traités d’Utrecht, Baden et La Haye, et aurait eu pour conséquence un renversement spectaculaire de l’équilibre des pouvoirs. Les disputes entre la France, l’Espagne, la Grande-Bretagne et l’Empire étaient encore avivées par la crise de la succession polonaise, et par l’avancée de la Russie vers l’Ouest, qui faisait du Roi de Prusse, dont la puissance grandissait sans cesse, une des composantes de l’équation. Les débats aboutirent au premier pacte de famille des Bourbon, le Traité de l’Escurial du 7 novembre 1733. Dans ce texte, les deux souverains de France et d’Espagne promettaient (article 7), « d’agir de parfait concert dans tous leurs intérêts communs » et à l’article suivant, continuaient : « en conséquence Leurs Majestés ayant reconnu que la garantie du décret pragmatique autrichien, proclamé sans leur consentement et aux termes duquel l’Empereur et ses successeurs pouvaient intervenir contre la sécurité de la Maison de Bourbon ainsi que l’élection prochaine voire effective au titre de Roi des Romains d’un Duc de Lorraine qui épousera l’aînée des Archiduchesses, filles de l’Empereur régnant, et formeront des engagements contraires à la sécurité de la Maison de Bourbon et à la paix en Europe, Elles ont jugé qu’il était digne de leurs intérêts et de leur discernement d’agir ensemble en toute matière qui leur serait d’intérêt. »_

Le dernier Farnèse Duc de Parme mourut le 21 janvier 1731, et, conformément au Traité de Vienne du 22 juillet 1731, l’Infant Charles de Borbòn y Farnese reçut l’investiture comme Duc. En décembre 1731, Charles obtint finalement la possession de Parme et Plaisance ; il s’établit dans Florence, capitale des Médicis, soutenu par des troupes espagnoles, et fut investi Grand Duc Héréditaire le 24 juin 1732. L’Espagne était également déterminée à recouvrer Naples et la Sicile, bien qu’elle eût renoncé à ces deux Royaumes par les Traités d’Utrecht en 1713, La Haye en 1720 et Vienne en 1725. Elle envahit alors l’Italie, procédant à des envois de troupe considérables, sous commandement nominal du jeune Duc de Parme. L’armée espagnole défit rapidement l’armée impériale à la bataille de Bitonto en 1734. L’Infant Charles fut proclamé Roi de Naples et de Sicile le 15 mars 1734, mais comme ce dernier était désormais à une grande distance de Florence et de Parme, les maigres garnisons espagnoles restées sur place en furent aisément chassées. L’Empereur fut néanmoins forcé de reconnaître Charles comme Roi, en vertu des termes de l’article 2 des préliminaires au Traité de Vienne entre l’Espagne et l’Empereur, du 3 octobre 1735. S’ensuivit sa Renonciation à Parme, Piacenza et à ses droits sur la Toscane (bien qu’il en gardât les titres). Le Traité de Vienne du 18 novembre 1738 confirmait que la Toscane reviendrait à François, Duc de Lorraine, alors fiancé à l’Archiduchesse Marie-Thérèse. La Lorraine et Bar-Le-Duc seraient données à l’ancien Roi de Pologne, Stanislas Lecszynski (dont la fille était mariée à Louis XV), puis reviendraient par rétrocession à la France. Ces transferts et échanges furent effectués à Versailles le 21 avril 1739 dans le cadre d’un document signé par l’Espagne, qui invalidait les Renonciations aux territoires italiens annexées aux Traités d’Utrecht et au Traité de Vienne de 1725, ainsi que par les Renonciations personnelles de Philippe V en 1720.

L’Europe avait radicalement changé depuis 1713 : un Electeur du Saint-Empire régnait désormais sur la Grande-Bretagne, l’Espagne devenait une grande puissance et l’Empire Habsbourg était sur le déclin… De tels bouleversements incitèrent les Français à réexaminer le statut des Renonciations de 1713. Cette attitude se reflète dans un mémoire anonyme des Archives du Ministère des Affaires Etrangères, datant de 1741 et intitulé : «Des renonciations françaises à la succession : mémoire sur les effets produits par la rupture du Traité d’Utrecht relativement aux renonciations des Princes français à la Couronne d’Espagne et de Philippe V à la Couronne de France ». L’auteur de ce mémoire affirmait : « La circonstance en Europe aujourd’hui et l’agitation persistante depuis la mort de l’Empereur Charles VI donnent à penser que le Traité d’Utrecht a fait long feu (…) attendu qu’il entrait en conflit avec les lois fondamentales des deux Royaumes et en particulier avec la Loi Salique. » Plus loin, on peut lire : « les Princes français ne peuvent être taxés de “pérégrinisme“, en d’autres termes ils ne peuvent perdre leurs droits éventuels au trône à cause de leur nationalité étrangère. »_ Ce commentaire trouve un écho chez Saint-Simon, estimant que le Roi est français « dès lors qu’il devient le Roi de France, reconnu et légitime. »_

Comme il devenait douteux que le Prince des Asturies, futur Ferdinand VI, eût un jour une descendance, on convint qu’en cas d’avènement du nouveau Roi des Deux-Siciles au Trône d’Espagne, ses Royaumes seraient cédés à un fils cadet. Toutefois la mort de l’Empereur, le 20 octobre 1740, offrit à l’Espagne l’occasion de revenir sur ses Renonciations aux Duchés des Farnèse ; en vertu du Pacte de Famille signé entre la France et l’Espagne le 25 octobre 1743, il fut admis que l’Espagne recouvrerait ces Duchés, y jouirait d’une pleine souveraineté, et que ces possessions reviendraient à l’Infant Philippe. Les troupes espagnoles envahirent Plaisance le 5 septembre 1745 puis Parme le 16 septembre suivant, au nom de la Reine leur Duchesse. Ces bataillons furent promptement repoussées par les Autrichiens. L’accord final d’Aix-La-Chapelle, le 18 octobre 1748, octroyait les deux Duchés à l’Infant Philippe, ainsi que l’ancien Duché des Gonzague à Guastalla, en souveraineté pleine et entière. L’accord fut ratifié à Nice le 4 décembre 1748.

Le second Pacte deFamille (le Traité de Fontainebleau du 25 octobre 1743, qui faisait également l’objet du mémorandum de 1741), stipulait à l’article 14 que le Roi de France, agissant dans « l’intérêt commun de la Maison de Bourbon », serait obligé de garantir les Royaumes de Naples et de la Sicile à l’Infant Charles, et de la même manière (article 6) les Duchés de Parme et de Guastalla, et leurs Etats dépendants à l’Infant Philippe. L’article 16 affirmait ensuite que les deux Souverains considéraient ce Traité comme une garantie de l’avantage commun des deux Couronnes, et plus encore de la Maison de Bourbon. Ainsi ces textes reconnaissaient que, malgré la séparation des deux Couronnes, chacune ayant ses propres responsabilités, privilèges et intérêts, il y avait bien une Maison commune, dont les intérêts étaient supérieurs à ceux de chacune des deux branches prise individuellement_. Le troisième Pacte Familial, daté du 15 août 1761 (jour de la Saint Louis), obligea l’Espagne à se ranger aux côtés de la France lors de la Guerre de Sept Ans, et aboutit à une cuisante défaite ; la Grande-Bretagne s’empara de La Havane, que l’Espagne ne put recouvrer qu’en échange de la Floride (la France donna néanmoins la Louisiane à l’Espagne). Le Roi d’Espagne, Charles III (qui sous le nom d’Infant Charles avait d’abord été Duc de Parme, puis Roi des Deux-Siciles) prit les mêmes mesures en faveur de son second fils Ferdinand IV et III de Naples et de Sicile ; ce dernier se trouvait redevable des mêmes obligations et de la même protection, tout comme son frère Philippe, Duc de Parme.

Le troisième Pacte s’ouvrait sur une reconnaissance des « liens de sang qui unissent les monarques régnant sur la France et l’Espagne » les amenant à «conclure entre elles un traité d’amitié et d’union, sous le nom de Pacte de famille, et dont le principal dessein est de rendre permanents et indissolubles, à la fois pour les deux Majestés et leurs descendants et successeurs, les devoirs qui procèdent naturellement de leur parenté et de leur amitié. L’intention de Sa Majesté Très-Chrétienne et de Sa Majesté Catholique en contractant les engagements qu’Elles prennent dans ce Traité est de perpétuer pour la postérité les sentiments de Louis XIV, de glorieuse mémoire, leur auguste aïeul commun, et de maintenir à jamais un monument solennel à l’intérêt réciproque qui sera au fondement de leurs vœux sincères pour la prospérité de leurs royales familles. » L’article 20 poursuivait sur ce thème, affirmant que les deux Rois maintiendraient en tout point « la dignité et les droits de leur Maison, dont tous les Princes ayant l’honneur de provenir du même sang peuvent être assurés en toute occasion de la protection, de l’assurance et de l’assistance, qui est celle des trois Couronnes. » À l’article 21 : « le présent Traité doit être considéré, comme il a été également énoncé au préambule, comme un Pacte Familial entre les branches de l’Auguste Maison de Bourbon, auquel aucune puissance n’appartenant pas à cette Maison ne saurait être invitée ou admise à participer. » La version préparatoire du Traité, également reprise dans les Mémoires politiques du Duc de Choiseul, qui en tant que Premier Ministre de la France avait négocié le pacte, emploie le terme de « Maison de France », plutôt que de Maison de Bourbon, qui fut la dénomination retenue dans la version ratifiée en Espagne (le texte de la ratification française disparut sous la Révolution)_.

En outre, les deux Maisons conclurent plusieurs accords. Le plus important de ceux-ci est la Convention d’Aranjuez du 15 juillet 1760, concernant l’admission des Princes du Sang français à l’ordre de la Toison d’Or, et l’admission des Infants d’Espagne aux Ordres du Roi (Ordres du Saint-Esprit et de Saint-Michel). Ce document désigne les Princes français comme « Princes du Sang de France » et les Infants d’Espagne comme « Princes du Sang d’Espagne » —titre en usage en France, mais inconnu en Espagne. L’égalité de rang concédée aux régnants des deux branches (ainsi qu’aux lignées cadettes des Deux-Siciles et de Parme), et qui ne fut jamais accordée aux représentants de dynasties étrangères, ainsi que la multiplication des allusions aux différentes lignées comme membres d’une même Maison, sont particulièrement significatives. Si, fait rarissime, l’attribution de tels privilèges à une Maison supposée étrangère et séparée ne permet pas d’établir les droits de la branche espagnole sur le Trône de France, un tel procédé n’en demeurait pas moins unique.

Sous l’Ancien Régime, la validité des Renonciations ne fut pas débattue en public. A la Révolution cependant, l’Assemblée Nationale se pencha sur cette question lors d’une session de trois jours qui s’ouvrit le 15 septembre 1789. Au terme de longs débats, l’Assemblée vota un texte définitif sur la succession à la Couronne. Celui-ci stipulait : «La couronne se transmet de manière héréditaire de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l’exclusion absolue des femmes et de leurs descendants, sans préjugé de l’effet des Renonciations. »_. L’Ambassadeur d’Espagne, le Comte de Fernan Nuñez écrivit au Premier Ministre Espagnol, le Comte de Floridablanca, le même jour : « le Clergé à l’unanimité et la majorité de la Noblesse ainsi que du Tiers Etat se sont prononcés en faveur de la résolution favorable à la Maison d’Espagne (…) Par 698 voix contre 265, la majorité a conclu la question dans un sens à nouveau très avantageux pour nous, ce qui n’était pas le cas auparavant, car ce vote expose désormais au pays tout entier une renonciation douteuse et sujette à révision, autrefois considérée comme complète et irrévocable. »_

Deux ans plus tard, l’Assemblée Nationale acheva la rédaction d’une Constitution écrite, entérinée par le Roi, et qui eut cours pendant la dernière année de la monarchie. Pour la première fois, il devenait nécessaire de définir formellement et en conformité avec la Constitution, les règles de succession ainsi que les titres, privilèges et prérogatives de la Couronne. Le Moniteur Universel reproduisit les débats portant sur la clause de succession de la Constitution. L’intégralité de ces textes du Moniteur fut réimprimée en 1847. Grâce à ces débats sur la succession, l’approche contemporaine de ses règles fut clairement énoncée. Voilà qui dément les affirmations de certains Orléanistes, selon laquelle les revendications de la branche espagnole auraient été une invention récente, destinée à satisfaire les ambitions de Princes privés d’autres prérogatives. Aussi est-il patent que la question des droits de la branche espagnole sur la Couronne de France était un enjeu Constitutionnel majeur.

Lorsque la question des droits de la branche espagnole fut posée, l’Assemblée vota un amendement à l’article portant sur la succession, dans le dessein implicite de garantir ses droits. Cette intention se donne manifestement à voir dans la clause suivante, extraite de l’article I, Chapitre II, Titre III : « La Royauté est indivisible, et déléguée héréditairement à la race régnante de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance. (Rien n’est préjugé sur l’effet des Renonciations dans la race actuellement régnante)_ ».

Madame Elizabeth (sœur du Roi), dans une lettre à la Marquise de Bombelles, datée du 15 septembre 1792, écrivait que des députés de l’Assemblée Nationale avaient voulu exclure la branche espagnole, et que les séances avaient été si houleuses, que deux journées avaient été perdues. Louis-Philippe lui-même évoqua ce point dans les Mémoires qu’il avait fait publier en 1803 (douze ans avant la restauration) : « Ce n’est pas seulement comme Français que je prends un vif intérêt à cette question, c’est aussi comme père. Dans le cas, en effet (ce qui n’arrivera jamais de mon temps) où nous aurions le malheur de perdre M. le duc de Bordeaux sans qu’il laissât d’enfant, la Couronne reviendra à mon fils aîné, pourvu que la loi salique soit maintenue en Espagne ; car, si elle ne l’était pas, la Renonciation de Philippe V au Trône de France, en son nom et au nom de ses descendants mâles, serait frappée de nullité, puisque ce n’est qu’en acte de cette Renonciation que les descendants de ce Prince ont acquis un droit incontestable à la Couronne d’Espagne ; mais si ce droit leur est enlevé, ils peuvent réclamer celui que leur donne la loi salique française à l’héritage de Louis XIV. Or, comme petits-fils de Louis XIV, ils passent avant mes enfants. »_ Il est à noter qu’alors qu’aux yeux de Madame Elizabeth le débat ressortissait à une tentative avortée de priver la branche espagnole de ses droits ; pour le Duc d’Orléans, il s’agissait en revanche d’une spoliation de ses descendants. Les deux interprétations ne laissent aucun doute que l’enjeu des Renonciations, leur nature contraignante ainsi que la détermination des droits de la branche d’Espagne, étaient de la plus haute importance.

L’Assemblée Nationale était une émanation des anciens Etats Généraux, constitués désormais en corps législatif à part entière, chargé de définir la Constitution de la Nation. Cette Assemblée avait été élue, d’abord aux fins d’engager les réformes fiscales qui étaient devenues nécessaires ; mais un grand nombre de ses membres souhaitaient ardemment modifier les institutions de la France. Des voix discordantes s’élevaient entre les députés, dont six-cent provenaient du Tiers Etat, et une moindre proportion du clergé et de la noblesse. D’où l’absence de propositions cohérentes avant les élections. En revanche, des centaines de cahiers de doléances convergeaient vers les Etats, les collectivités locales, voire de simples associations d’électeurs. Il est certain que le mandat donné à l’Assemblée Nationale ne s’étendait pas à une révision des lois fondamentales, laquelle demeurait hors de son domaine de compétence. Les réformes qui en émanèrent furent imposées au Roi, n’ayant alors pas d’autre choix que de capituler. Les partisans de la Révolution et de ses fins n’écoutèrent pas les protestations royales, et cautionnèrent la légitimité des agissements de l’Assemblée Nationale, ambitionnant de remplacer une Monarchie vieille de plusieurs siècles par une autre, inféodée au pouvoir de la nouvelle Assemblée. Louis XV lui-même, en son édit de 1717, affirmait que le destin de la Couronne (en cas d’extinction de la Maison Royale), était aux mains du peuple, « Mais si la Nation françoise éprouvoit jamais ce malheur, ce seroit à la Nation mesme qu’il appartiens droit de le réparer par la sagesse de son choix ; et puisque les Loix fondamentales de notre Royaume Nous mettent dans une heureuse impuissance d’aliéner le Domaine de Nostre Couronne (voir Note 23). En ce cas précis, les Députés prirent su eux d’engager des changements sans en référer au peuple, entre autres parce qu’à ce moment inédit dans l’histoire, la notion de suffrage universel n’en était qu’à ses premiers balbutiements. L’un des modèles de cette monarchie nouvelle avait été la Grande-Bretagne, mais les institutions Constitutionnelles britanniques, ainsi que les droits et privilèges, étaient le résultat de siècles d’évolution. C’est pourquoi, si l’Assemblée Nationale pouvait légitimement définir et compiler les lois fondamentales, elle n’était pas fondée à les changer.

Néanmoins, la Constitution engagea bien un bouleversement de l’équilibre ancien entre la Couronne et le peuple, puisque la Monarchie était forcée d’accepter des limitations considérables de son pouvoir, ses décisions devant désormais être ratifiées par un vote populaire. Le 12 octobre 1789, Louis XVI écrivait au Roi Charles IV : « Je me dois à moi même, je dois à mes enfants, je dois à ma famille et à toute ma Maison de ne pas souffrir la dégradation du pouvoir qui est parvenu entre mes mains, la dignité royale qui a été confiée à ma dynastie au cours des siècles (…) J’ai choisi de remettre entre les mains de V.M., en tant que chef de la branche puînée, la protestation solennelle que j’ai formulée contre tous ces actes contraires à l’autorité royale (…) » _

La circonstance de la fuite et du retour du Roi le 20 juin 1791 avait soulevé la question d’une possible Régence ; on s’interrogeait également sur la nature de la Monarchie, dont l’existence même était à présent en danger. Nicolas Ruault écrivait dans son journal, le 22 juin, « Le trône est vacant depuis hier matin. Quelle opportunité pour le Duc d’Orléans, s’il était aimé et estimé ! On ne pourrait croire qu’il pourrait combler le vide laissé par Louis XVI. Il en est indigne. Son fils aîné pourrait être le bon»_. Le Duc d’Orléans craignait de paraître trop ouvertement ambitieux, et se déclara prêt à servir sa patrie, « sur terre, sur mer, dans la carrière diplomatique, en un mot dans tous les postes qui n'exigeront que du zèle et un dévouement sans bornes au bien public ; mais que s'il est question de régence, je renonce dans ce moment et pour toujours au droit que la constitution m'y donne (…)il ne m'est plus permis de sortir de la classe du simple citoyen où je me suis placé qu'avec la ferme intention d'y rester toujours, et que l'ambition serait en moi une inconséquence inexcusable ! » Ce texte était signé L. P. d’Orléans, et daté du 26 juin 1791_. D’après Castillon, op. cit., cette lettre fut dictée mot par mot au Duc par le gouvernement. Le Duc d’Orléans s’efforçait par ailleurs de garder de bonnes relations avec les Jacobins, qui ne lui avaient jamais fait confiance, tandis que ses agents s’employaient activement à pousser ses propres intérêts, afin de le voir accéder au pouvoir. Il avait alors bien compris que la Monarchie était condamnée, et ses ambitions ne sauraient se satisfaire d’une Régence bancale.

A l’Assemblée Nationale, le 25 août, le débat fit rage de savoir si le Roi devait se retirer pour céder sa place à une Régence, et si le Régent devait appartenir à la famille royale. Un aspect secondaire du débat portait sur les titres des membres de la famille royale à qui Robespierre et les Jacobins refusaient de donner les titres de Prince. Le député Lanjuinais formulait l’enjeu de manière plus directe : la vraie question était pour lui de savoir s’il fallait ou non maintenir le statut de la noblesse. Il était tout aussi important de déterminer si les membres de la famille royale pouvaient siéger au corps législatif, en violation manifeste de la séparation des pouvoirs (les membres de la famille royale appartenaient en principe à l’exécutif). Cet argument finit par l’emporter. Le girondin Goupil, ancien membre du Tiers Etat, ouvrit la deuxième session par un long discours sur les responsabilités publiques, et les devoirs des membres de la famille royale : « Quelle est la véritable vocation des membres de la famille royale ? ils ne peuvent abandonner la cause du pouvoir qui est le leur pour siéger parmi les membres du corps législatif. Ils sont faits pour être les défenseurs, les auxiliaires et les conseillers du pouvoir exécutif (…). Un profond auteur anglais a dit que lorsqu’une nation libre s’est donné une monarchie héréditaire, la famille royale ne se consacre jamais qu’à la seule indépendance de la Maison. Et l’on croit que cette obligation peut être abolie par une déclaration que je me refuse à qualifier de renonciation ! Eh bien, que l’on comprenne que cette renonciation ne peut pas être faite, parce que l’on ne saurait, en droit public, renoncer à un droit qui n’est pas ouvert. Toute renonciation de la sorte, quand bein même elle ne serait pas impossible, serait immorale. ».

Le Duc d’Orléans, qui se fit bientôt appeler Philippe-Egalité, s’opposa farouchement à cette mesure, car il espérait obtenir une fonction élective élevée dans le nouvel Etat Constitutionnel ; il offrit donc de « faire la déposition de _sa_ renonciation solennelle à _ses_ droits comme membre de la dynastie régnante » si la clause initiale, définissant les droits des membres de la famille royale n’était pas rejetée. Lorsqu’un autre député, Dupont, remarqua que la Constitution avait mis en doute la validité de telles renonciations, Philippe-Egalité répondit : « une renonciation personnelle est toujours bonne», laissant par là entendre qu’il estimait qu’une Renonciation s’étendant à la descendance n’était pas recevable_. Un vote décida finalement de la capacité des membres de la famille royale à se faire élire ou désigner par le peuple à une quelconque fonction ou emploi. Par 267 voix contre 180, il fut arrêté qu’ils n’étaient pas éligibles_. La version finale de la section III, article 5 de la nouvelle Constitution stipulait que « Les membres de la famille royale jouiront des droits de citoyen actif. Les membres de la famille royale ne seront point éligibles aux places et emplois qui sont à la nomination du peuple. »
Le Duc d’Orléans réaffirma son désir de ne plus être considéré comme membre de la famille royale, écrivant le 9 décembre 1792, « que dans le cas où Louis XVI ne serait plus, je suis placé derrière le rideau pour mettre mon fils, ou moi, à la tête de gouvernment ….. je declare que je déposerai sur le bureau ma renonciation formelle aux droits de membre de la dynastie régnante, pour m’en tenir à ceux de citoyen français. Mes enfans sont prêts à signer de leur sang qu’ils sont dans les mêmes sentiments que moi. Signé L.P.J. Egalité._ » La Monarchie avait alors été remplacée par la République, et Philippe-Egalité craignait en réalité que sa naissance le disqualifiât. Ses déclarations furent publiées par le Moniteur Universel, le 11 décembre 1792 ; le texte se présentait comme une lettre de L.P.J. Egalité à ses concitoyens. Par une manœuvre particulièrement insultante pour sa mère et ses frères et sœurs, Philippe-Egalité fit distribuer dans les Clubs une généalogie fantaisiste, où il affirmait lui-même être « le fils d’un cocher ; que par conséquent on devait le regarder comme un vrai sans-culotte ».

Si un Prince pouvait légalement renoncer à ses droits de succession à la Couronne, les démarches de Philippe-Egalité auraient pu être recevables, à défaut d’engager ses descendants qui, nonobstant les déclarations provocatrices de sa seconde Renonciation, n’avaient rien signé de leur sang. Ces provocations offrent un aperçu de l’opportunisme flagrant de Philippe-Egalité—qui n’hésita pas, cinq semaines après sa seconde Renonciation, à voter en faveur de l’exécution du Roi son cousin. Elles ne modifiaient toutefois en rien les droits de la lignée Orléans, puisque nulle Renonciation ne saurait engager des héritiers à naître, selon la loi dynastique française.

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Le Traité d'Utrecht, les Renonciations de 1712, et la succession à la tête de la Maison royale de France.

L’abolition de la loi semi-salique en Espagne et ses conséquences
Guy Stair Sainty
(Trans. Arnaud Odier)

En 1808, Charles IV avait abdiqué en faveur de Ferdinand VII qui avait par la suite été emprisonné par Napoléon. Après la défaite des armées françaises face à Wellington dans la Péninsule, Napoléon consentit, par le Traité de Valençay du 11 décembre 1813, au retour de Ferdinand en Espagne. Napoléon n’étant en rien progressiste, il estimait qu’une restauration pouvait être le moyen nécessaire de contrecarrer les aspirations républicaines naissantes en Espagne, et qui risquaient de se propager en France. La Constitution du 22 septembre 1812 avait été proclamée au terme d’une session extraordinaire des Cortes, et n’avait pas de valeur légale aux yeux de Ferdinand : les Cortes avaient exclu un certain nombre de membres y siégeant de droit ; ni Ferdinand ni le Conseil de la Régence n’avaient été consultés, et ils n’avaient pas donné leur accord aux mesures qui avaient été prises. Pendant ce temps, l’empire américain du Royaume d’Espagne se désintégrait, les colonies d’outre-mer ayant refusé de reconnaître l’autorité du régime bonapartiste. Le Mexique avait acquis son indépendance en 1811, suivi de l’Argentine, du Chili et du Venezuela, puis de la Nouvelle-Grenade (Colombie actuelle) et du Pérou, qui obtinrent leur indépendance au cours de la décennie suivante.

Après la Restauration, le camp progressiste se divisait entre sympathisants des mouvements d’indépendance américains, et partisans d’un renforcement de la puissance de l’Empire espagnol, dans le cadre d’une monarchie Constitutionnelle. Par le Décret de Valence du 4 mai 1814, Ferdinand, après avoir réaffirmé sa haine de l’absolutisme, abolit la Constitution et dissout les Cortes ; il fit archiver les documents et les minutes, et élargir tous ceux qui avaient été emprisonnés sur ordre des Cortes pour leur opposition à la Constitution. Le Roi était déterminé à empêcher l’effondrement de son Empire, et peu disposé à accepter une Constitution qu’il n’avait pas contribué à élaborer. Ses armées se montrèrent cependant incapables de contrer efficacement les rebelles américains, soutenus à la fois par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, soucieux d’assurer leur emprise sur la région. La défaite américaine porta un coup considérable au régime, et alimenta les dissensions intérieures.

Les germes de la rébellion avaient été semés dès les premières heures des Cortes de la pré-Restauration, et le 1er avril 1820, l’armée se déclara en faveur d’un retour à la Constitution de 1812. Ferdinand était plutôt enclin à un régime autocratique, tempéré par des réformes occasionnelles ; il consentit toutefois à reconnaître la Constitution, malgré les limites rigoureuses qu’elle imposait au pouvoir de la Couronne. Un conseil de gouvernement provisoire fut institué, présidé par l’oncle du Roi, Luis de Borbòn, Cardinal Archevêque de Tolède. Cependant, Ferdinand ne se ralliait qu’avec réticence au progressisme, et les divisions entre partisans de la réforme et nostalgiques de l’ancienne monarchie s’accentuèrent. En 1822, le ministère du Cardinal de Borbòn fut remplacé par un gouvernement plus radical ; il signa une paix humiliante avec Simon Bolivar dont ce dernier s’empressa de violer les termes, ce qui conduisit à une défaite désastreuse pour l’Espagne. Les Cortes d’avant la Restauration avaient aboli l’Inquisition en 1813, et bien que cette abolition fût entérinée, le nouveau gouvernement prit des mesures encore plus drastiques en vue d’affaiblir l’influence de l’Eglise. Ces agissements conduisirent à une tentative, du côté de la Couronne, de réaffirmer son pouvoir. La lutte s’intensifia et une guerre ouverte éclata dans les rues des villes principales, entraînant la marginalisation de Ferdinand. Le gouvernement continua cependant d’agir en son nom.

Les puissances européennes, emmenées par l’Autriche et la France, tinrent en 1822 un nouveau congrès à Vérone, avec le soutien de la Russie et de la Prusse. Ce congrès résolut d’agir pour « rendre la Péninsule à son Etat antérieur à la Révolution de Cadix (de 1820) » et la France fut chargée de la responsabilité de restaurer le gouvernement royal. La Grande-Bretagne objecta fortement, alléguant son soutien aux Constitutionnalistes ; ses motivations tenaient en réalité aux avantages commerciaux qu’elle espérait obtenir de la chute de l’Empire et de son soutien à un gouvernement Constitutionnaliste isolé. Un détachement français, placé sous le commandement du Duc d’Angoulême (futur Dauphin, puis Louis XIX s’il avait régné), envahit l’Espagne; les armées rebelles espagnoles furent défaites et Ferdinand recouvra son Trône. Ferdinand, désormais Roi par la grâce des baïonnettes françaises, abolit rapidement la Constitution et toutes ses lois par un décret en date du 23 octobre 1823. Bien que les Cortes eussent certainement abusé de leur pouvoir, l’intransigeance de Ferdinand, entouré de conseillers médiocres et cupides, lui aliéna le soutien de ceux qui, par ailleurs, désapprouvaient les points les plus jusqu’auboutistes de la Constitution.

Ferdinand s’était marié quatre fois. Ses trois premières épouses étaient mortes sans lui laisser de descendance ; le 11 décembre 1829, il épousa la Princesse Marie-Christine, 23 ans, fille du Roi François Ier des Deux-Siciles. Les radicaux désespéraient d’obtenir la moindre réforme, l’héritier présomptif du Roi étant son frère cadet, l’Infant Don Carlos, dont le goût pour l’autocratie et l’hostilité à la Constitution étaient plus extrêmes encore. Ferdinand, quant à lui, avait dû satisfaire certaines des revendications de l’opposition : lorsque la nouvelle de la grossesse de la Reine fut révélée en mars 1830, les réformistes comprirent qu’ils tenaient leur chance. Prenant avantage de la brouille entre les deux frères, ils proposèrent, avec le soutien de la Reine, que le Roi promulgue à nouveau un décret de Charles IV qui n’avait jamais été publié : ce texte remplaçait le système semi-salique établi sous Philippe V par l’ancien système de succession mixte prévalant avant l’avènement des Bourbons. Le Roi édicta alors la Sanction Pragmatique du 29 mars 1830, ratifiant le décret de 1789 (voir plus haut)_.

Le retour à l’ancien système de succession dynastique avait fait l’objet d’une première tentative, dans le cadre d’un projet de loi élaboré par les Cortes d’avant la Restauration, le 16 octobre 1811, projet de loi qui fut inclus dans le texte définitif de la Constitution de 1812. L’article 180 déclarait que dans le cas de la disparition de Don Ferdinand VII de Borbòn, ses héritiers mâles et femelles accéderaient à la Couronne. Dans le cas de leur disparition, le trône reviendrait à ses frères et sœurs ou ses oncles et tantes, frères et sœurs de son père, et leurs descendants légitimes, selon le principe de la préférence accordée à la branche la plus proche. Cette modification de la succession, qui ne s’appuyait pas sur l’application du décret de Charles IV de 1789, fut décidée sans consultation préalable du Roi ; le Décret de Valence de 1814 l’invalida. Ce projet de modification avait également provoqué la colère du Roi des Deux-Siciles, qui était alors en troisième position dans l’ordre de la succession au Trône d’Espagne : il émit des protestations véhémentes contre le projet de modification le 18 mars 1812. L’avis général était que les Cortes n’avaient pas le pouvoir d’invalider unilatéralement l’application solennelle du Décret Pragmatique de 1713_. En 1820, lors du débat sur la remise en application de la Constitution de 1812, ce problème ne fut pas évoqué et la clause de succession fut considérée comme caduque.

La promulgation de la sanction pragmatique de 1830 entraîna des réactions immédiates, la grossesse de la Reine étant désormais officielle. Le Prince Jules de Polignac, Ministre français des Affaires Etrangères, doutait de la validité de la nouvelle loi. Il écrivit ainsi à l’Ambassadeur de France, le Vicomte de Saint-Priest, le 28 avril 1830, que d’après lui l’omission du décret de 1789 de Charles IV et l’inclusion de celui de 1713 étaient « la preuve de l’abandon d’une loi qu’il avait lui-même _Charles IV_ présentée aux Cortes, et à laquelle il n’avait pas donné depuis de sanction légale ». Saint-Priest, dans sa réponse à Polignac datée du 17 mai 1830, déclarait qu’on soupçonnait communément le premier Décret Pragmatique de 1789 de n’être qu’un faux (il n’existe qu’en copies, l’original ayant disparu) ; toute cette agitation n’était que manœuvres de la part des réformistes, dans le but d’empêcher l’avènement de Don Carlos_. Les Deux-Siciles émirent la première protestation par une dépêche du Prince de Cassaro, Ambassadeur de Naples à Madrid, adressée au Secrétaire d’Etat espagnol le 29 mars 1830. L’Ambassadeur évoquait tout le sang versé pour assurer la succession aux descendants de Philippe V par la branche mâle, et rappelait que les Puissances, dans les préliminaires du Traité d’Utrecht, étaient convenues de changer le système de succession aux fins d’éviter une nouvelle et désastreuse Guerre de Succession d’Espagne_. En tout état de cause, la modification de la loi avait été rattachée en document annexe au volet anglo-espagnol du Traité d’Utrecht.

Le Roi des Deux-Siciles était directement concerné par ce décret, puisqu’en 1830, en vertu de la loi semi-salique, il était neuvième dans l’ordre de succession au Trône d’Espagne (puis huitième, à compter du 22 octobre 1830) ; il se retrouvait soudain rétrogradé, venant désormais après la nombreuse descendance des filles de Charles IV. Ses enfants tenaient un droit à la succession de leur mère, l’Infante Isabelle ; mais après la naissance de la seconde fille de Ferdinand VII, le Duc de Calabre (bientôt Ferdinand II) se retrouvait en vingt-huitième position, selon les termes d’une succession mixte. Cette situation donna lieu à une série d’échanges entre Naples et Madrid. Dans une lettre de protestation adressée personnellement au Roi Ferdinand et datée du 10 septembre 1830 (un mois exactement avant la naissance de la future Isabelle II, dont le sexe était évidemment encore indéterminé), le Roi arguait que les droits de ses descendants, conférés par la loi de Philippe V, avaient été annulés_. Quatre jours plus tard, le Chargé d’Affaires de Naples à Madrid remit au Secrétariat d’Etat espagnol une protestation encore plus longue, et qui commençait par un rappel : Philippe V avait renoncé au Trône de France dans le dessein de conserver le Trône d’Espagne à sa descendance. Il poursuivait en déclarant que la décision de révoquer cette loi priverait par voie de conséquence ses descendants des droits qui avaient été garantis en compensation de cette concession et que Philippe V avait souhaité montrer au monde entier que «  la dite loi de succession par la branche mâle au Trône d’Espagne…bien que non incluse dans les articles du Traité d’Utrecht, serait néanmoins considérée comme inhérente à la Renonciation, et serait partie intégrante des obligations alors contractées ». Il achevait par la ferme déclaration que son maître, le Roi, se réservait ses droits pour lui et pour sa descendance, refusant par là de reconnaître cette modification de la loi_.

La naissance d’une fille attisa la controverse et, bien qu’à cette date Charles X eût été déposé et le Duc d’Orléans proclamé Roi des Français, la subordination réciproque des Renonciations aux différents arrêts qui leur étaient liés, restait en vigueur. Ferdinand restait ferme dans sa décision de changer la succession : le 13 octobre 1830, Isabelle fut déclarée Princesse des Asturies. François Ier des Deux-Siciles mourut le 8 novembre 1830 et son jeune fils et héritier, François II, fut immédiatement plongé au cœur de la crise. Les relations diplomatiques entre l’Espagne et les Deux-Siciles se dégradèrent, avec un rappel des Ambassadeurs et des protestations conjointes émises par le Duc de Lucques et le Roi de Sardaigne (dont les droits sur la succession d’Espagne, bien que minces, avaient cependant été confirmés par la loi de 1713). Le 30 juin 1832, la Reine donna naissance à un second enfant, l’Infante Luisa Fernanda, et le 4 avril, l’Infante Isabelle fut présentée aux Cortes comme l’héritière du Trône. François II des Deux-Siciles résolut alors d’énoncer une protestation solennelle et publique, en date du 18 mai 1833, qu’il fit publier et distribuer aux cours d’Europe. Ce document rappelait une fois de plus que la Renonciation de Philippe V et sa ratification du volet anglo-espagnol du Traité d’Utrecht étaient subordonnées à l’assurance que le Trône d’Espagne reviendrait à ses descendants mâles. Le Roi poursuivait en déclarant que le nouvel « ordre de succession, organisé avec l’accord et la garantie des puissances européennes et reconnu non seulement par la nation espagnole, mais encore prescrit par de nombreux autres Traités entre les dites puissances, était devenu, pour toutes ces raisons, obligatoire et intangible, et avait établi ces droits pour toute la descendance mâle de Philippe V le fondateur, pour toujours… Nous avons également la certitude, dans le même temps, que dès lors que cette loi avait été adoptée, il n’est au pouvoir de quiconque, selon les principes de la loi universelle, d’y apporter une innovation ou une modification pour quelque raison ou prétexte que ce soit ». Le Roi de Naples achevait sa protestation par une affirmation et une revendication de tous ses droits et de ceux de ses descendants, prononcées, selon ses termes « devant les Souverains légitimes de toutes les Nations »_.

Ferdinand VII s’inquiétait alors beaucoup des désordres entraînés par sa décision. Tombé gravement malade, il résolut de révoquer son décret : par un arrêt du 18 septembre 1832, il rétablit la loi de 1713. Cette décision apaisa les cours étrangères et les partisans d’un retour à l’absolutisme via l’avènement de l’Infant Carlos, mais irritait la Reine et ses sympathisants—cette dernière en effet aurait été nommée régente en cas de décès de son mari. Lorsque le Roi se rétablit, elle le persuada de proclamer à nouveau sa Sanction Pragmatique , ce qu’il fit par décret royal le 31 décembre 1832. Quelques jours plus tard, le Roi tomba à nouveau gravement malade et la Reine fut nommée Reina Gubernadora (Régente) par le décret royal du 4 janvier 1833 : en pratique la Reine était co-souveraine jusqu’à la mort de son mari le 29 septembre 1833. Leur fille fut immédiatement proclamée Reine sous le nom d’Isabelle II, sous la Régence de sa mère (laquelle dissimula, avec la complicité du gouvernement progressiste, le mariage secret qu’elle avait contracté le 28 décembre 1833 avec Fernando Muñoz). Isabelle fut immédiatement reconnue Reine par la France et la Grande-Bretagne, mais les Deux-Siciles ne la reconnurent qu’en 1844, le Pape en 1848, et l’Autriche, la Russie et la Prusse en 1856 seulement. La Reine-Mère fut contrainte de renoncer à la Régence le 12 octobre 1840 et remplacée par un ministre progressiste, le Général Esparto—puis Isabelle II fut déclarée majeure par anticipation, à l’âge de treize ans, le 10 novembre 1843.

Mais l’amendement avait causé une irritation toute aussi grande du côté français. Saint-Priest, Ambassadeur de France à Madrid, adressa une première communication officielle au Secrétaire d’Etat espagnol, Gonzalez Salmòn, le 29 mars 1830. Il y indiquait clairement que la loi semi-salique avait assuré le prestige et la puissance des « trois branches de l’Auguste Maison de Bourbon », et qu’elle avait été promulguée aux fins « d’assurer à l’Auguste Maison de Bourbon la possession d’un Trône acheté par tant de sacrifices »_. Polignac, dans ses instructions à Saint-Priest, écrivait le 28 avril : « En la qualité de Roi de France, le Roi ne se croit pas appelé à prononcer sur la validité d’une loi espagnole, mais comme Chef de la Maison, il peut intervenir dans tout ce qui en lèse les intérêts et il doit sa protection à tous les membres qui la composent. Vingt Princes du Sang de Louis XIV se trouvent par la loi de Ferdinand VII privés des droits qu’ils tenaient de leur naissance ; et dix d’entre eux placés hier sur les premiers degrés du Trône sont menacés de se voir confondre dans la foule des simples gentilshommes espagnols. La question est trop grave pour que Sa Majesté n’y donne pas une sérieuse attention (…). Elle est décidée à soutenir les droits qui se pourraient trouver lésés avec toute la fermeté de son caractère et le sentiment de dignité qu’il appartient au Chef des Bourbons de porter dans les questions où il s’agit de l’intérêt et de l’honneur de Sa Maison (…). »_ L’Ambassadeur d’Espagne à Paris, le Comte d’Ofalia, dans une lettre datée du 24 avril 1830, rapporta au Secrétaire des Affaires Etrangères espagnol la substance d’une conversation qu’il avait eue quelques jours plus tôt avec Polignac : « Polignac m’a affirmé que la Pragmatique était en contradiction avec les Renonciations faites par Philippe V pour lui-même et pour ses descendants à la succession au Trône de France, (…) si le Duc de Bordeaux venait à disparaître, les Renonciations de Philippe V n’aurait d’autre validité que celle qu’elles pourraient recevoir de la force ou des circonstances… »_. Ces textes reflètent la position française de l’époque sur la situation dynastique de la branche espagnole. Le Roi de France considérait qu’il était fondé à intervenir, en vertu de ce qu’il était Chef de la Maison, et avait le devoir de protéger les intérêts des Princes du Sang (statut propre à la France), frappés par la nouvelle loi espagnole.

Saint-Priest répondit à Polignac, le 1er juin 1830, qu’il avait tenté de convaincre les Espagnols d’introduire une clause interdisant tout mariage amenant la Couronne à passer hors de la Maison de Bourbon, mais que sa requête avait échoué_. On se proposa de formuler une protestation conjointe avec le Royaume des Deux-Siciles, et une lettre fut rédigée en français, dans l’intention de l’envoyer au Roi des Deux-Siciles, le 28 juin 1830—cette missive ne fut ni signée ni envoyée, en raison de la Révolution de Juillet. On pouvait y lire : « La Pragmatique publiée dernièrement à Madrid sur la succession au Trône d’Espagne n’est pas un acte dont le Gouvernement français se borne à déplorer les dangers, sans essayer de les prévenir ; ces dangers ne touchent pas seulement l’Espagne : la puissance de la Maison de Bourbon, la tranquillité de l’Europe sont également menacées par la disposition qui, en appelant les femmes au Trône des Castilles, de préférence aux mâles plus éloignés, peut avoir pour résultat de transférer tôt ou tard le Royaume à une autre dynastie(…) »_. Il fut également décidé que le Roi enverrait une protestation personnelle au Roi espagnol, et dans une note (d’une main inconnue) portée en exergue du texte de cette lettre, on peut lire : « Le projet ci-joint, d’une lettre du Roi Charles X à Ferdinand VII, n’a jamais eu de suite. Il avait été résolu que les chefs des deux branches de la Maison de Bourbon, de France et de Naples, adresseraient—simultanément—des représentations au Roi d’Espagne au sujet de la remise en vigueur de la Pragmatique de Charles IV. Le Cabinet Napolitain avait demandé à celui des Tuileries un projet de lettre, qui fut rédigé en même temps que le projet ci-joint, et envoyé à Naples après le voyage du Roi des Deux-Siciles à Paris, par conséquent, dans les derniers_ jours de la Restauration—mais les événements de juillet survinrent, qui modifièrent la politique de la France, ci-aucun de ces deux projets de lettre ne reçut d’instruction. »

La lettre commence ainsi : « Monsieur Mon Frère, Je croirais manquer à mes devoirs comme Roi, comme Parent de V.M., comme chef d’un Gouvernement uni à l’Espagne, par les liens d’une étRoite alliance, si j’hésitais plus longtemps à vous entretenir d’une question qui intéresse, à la fois, l’avenir de l’Espagne, la tranquillité générale de l’Europe et la grandeur de la Maison de Bourbon. _Ici, une note en marge : « Charles X, ayant une bonne opinion de ce projet (…) substitue l’expression Maison de France à celle de Maison de Bourbon. »_ »_

L’Ambassadeur d’Espagne auprès du Royaume de Sardaigne (qui conservait lui-même des droits sur la Couronne espagnole en vertu du Traité d’Utrecht), en commentaire aux conséquences de la révocation de la loi semi-salique, écrivait le 16 février 1833 (deux ans et demi après l’avènement de la monarchie orléaniste) : « avec l’abolition de la loi salique en Espagne, attendu que Philippe V avait renoncé à ses droits et à ses ceux de ses successeurs sur la Couronne de France à la condition que ses descendants lui succéderaient de mâle en mâle à la Couronne d’Espagne, et attendu que cette condition fait à présent défaut, ses successeurs recouvrent leur droit sur la Couronne de Saint Louis, puisque l’Infant Carlos a aussi préséance sur la Maison d’Orléans. Deux adversaires s’opposent à présent aux Orléans : le Duc de Bordeaux et l’Infant Don Carlos. »_. L’Ambassadeur et légat espagnol, le Marquis de Miraflores, qui passa quelques mois à faire le va-et-vient entre Paris et Madrid, en 1845 et1846, avait la mission délicate d’à la fois conseiller son gouvernement et faire des recommandations à Louis-Philippe. Il interpréta plus tard la validité du Traité d’Utrecht, estimant que bien que le Traité lui-même soit devenu caduque du fait de Traités ultérieurs, certaines clauses concernant la succession d’Espagne restaient en vigueur. Ces dernières se ramenaient à la prohibition absolue de l’unification du Trône d’Espagne avec ceux de la France ou de l’Autriche_.

Le point de vue des contemporains sur les conséquences de cet amendement sur la succession à la Maison de France présente à cet égard un intérêt singulier; le plus intéressant étant certainement celui du Duc d’Orléans, futur Louis-Philippe, Roi des Français. Dans ses Etudes Historiques, Politiques et Morales, le Prince Jules de Polignac rapporte une conversation qu’il avait eue avec le Duc d’Orléans, au cours de laquelle celui-ci affirmait : « ce n’est pas seulement comme Français que je prends un vif intérêt à ces questions, c’est aussi comme père. Dans le cas, en effet (ce qui n’arrivera jamais de mon temps) où nous aurions le malheur de perdre M. le Duc de Bordeaux sans qu’il laissât d’enfant, la Couronne reviendra à mon fils aîné, pourvu que la loi salique soit maintenue en Espagne ; car, si elle ne l’était pas, la Renonciation de Philippe V au Trône de rance, en son nom et au nom de ses descendants mâles, serait frappée de nullité, puisque ce n’est qu’en acte de cette Renonciation que les descendants de ce Prince ont acquis un droit incontestable à la Couronne d’Espagne ; mais, si ce droit leur est enlevé, ils peuvent réclamer celui que leur donne la loi salique française à l’héritage de Louis XIV. Or, comme petits-fils de Louis XIV, ils passent avant mes enfants. »_

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Le Traité d'Utrecht, les Renonciations de 1712, et la succession à la tête de la Maison royale de France.

La crise des mariages en Espagne
Guy Stair Sainty
(Trans. Arnaud Odier)

Le choix d’un époux pour la Reine Isabelle II et pour sa sœur, enjeu épineux, provoqua une crise inévitable. Les Deux-Siciles avaient renoué des relations diplomatiques avec l’Espagne en 1844, dans l’espoir que le fils cadet du Roi, le Comte de Trapani, devînt l’époux de la jeune souveraine. Ce choix n’avait cependant pas la faveur de l’opinion réformiste, la cour des Deux-Siciles ayant toujours marqué une hostilité notoire au principe d’une Monarchie Constitutionnelle. Le gouvernement réformiste voyait d’un bon œil une alliance avec un descendant espagnol de Philippe V, ou d’une dynastie plus favorable au Constitutionnalisme. On pensa un temps mettre un terme à la désastreuse rupture d’avec la branche mâle en donnant la main de la Reine au Comte de Montemolin, fils aîné et héritier présomptif de l’Infant Don Carlos. Ceux qui craignaient un retour à l’autocratie par ce biais s’y opposaient (Montemolin, ainsi que son père et son frère, furent de toute façon exclus du choix par la Constitution de 1834)—bien que ce choix eût pu apporter une solution pacifique à la querelle dynastique. La Grande-Bretagne plaidait la cause de Prince Léopold de Saxe-Cobourg et de Gotha, frère cadet du Prince-Consort du Portugal, neveu du Roi des Belges, et dont deux des frères et sœurs avaient épousé des enfants de Louis-Philippe. Les Français, désireux de conserver leur influence en Espagne et de contrer la Grande-Bretagne, se déclaraient partisans d’une union avec un descendant de Philippe V, tout en espérant un mariage avec le Duc de Montpensier, fils de Louis-Philippe. La Grande-Bretagne comme la France assuraient que leur principal souci était le bonheur de la Reine et l’assentiment du peuple espagnol.

Le Prince Léopold passait généralement pour être le candidat britannique : son frère avait été déjà fortement soutenu pour devenir l’époux de la souveraine du Portugal et la Reine Victoria elle-même avait épousé un Prince de Saxe-Cobourg. Louis-Philippe de son côté avait de grandes espérances pour son fils aîné, Antoine, Duc de Montpensier. En février 1846, le Secrétaire aux Affaires Etrangères britannique, le Comte d’Aberdeen, fut reçu par Louis-Philippe au Château d’Eu, et la question fut débattue avec Guizot, Premier Ministre, en présence du Roi. Lord Aberdeen rapporta ensuite à son gouvernement que Louis-Philippe avait fait état du désir de la France de voir la Reine épouser un descendant de Philippe V, et que tant qu’elle s’y plierait, on ne chercherait pas à pousser un mariage avec le Duc de Montpensier. Aberdeen rapporta en outre que si la Reine épousait un Infant d’Espagne (l’Infant Francisco de Asìs et l’Infant Enrique étant les seuls candidats vraisemblables), Louis-Philippe s’engageait à ne pas encourager à une union entre son propre fils avec l’Infante Luisa Fernanda tant que la Reine n’aurait pas donné naissance à un ou plusieurs héritiers. Les Français déclarèrent par la suite qu’ils n’avaient donné aucune assurance de cette nature, et avaient seulement consenti à ne pas pousser à une union de la Reine avec le Duc de Montpensier, si la Grande-Bretagne s’engageait à en user de même avec le Prince Léopold. Mieux encore, les Français soutenaient qu’une version de cet accord avait été consignée dans un mémoire écrit qu’ils avaient soumis à l’approbation de Lord Aberdeen ; mais ce document semblait avoir été perdu par le Foreign Office ; Lord Palmerston confirma effectivement qu’on n’avait pu le retrouver dans les archives.

Le gouvernement Tory de Sir Edward Peel fut remplacé par l’administration libérale de Lord John Russel à la fin juin 1846 et Lord Palmerston succéda à Aberdeen aux Affaires Etrangères. Le nouveau ministre n’ayant semble-t-il pas eu connaissance des entretiens d’Eu, il plaida à nouveau la cause du Prince Léopold. Les Français estimèrent que les Britanniques avaient rompu l’accord d’Eu : leurs démarches visant à un mariage entre le Duc de Montpensier et l’Infante Louise Fernande ne les engageaient donc plus. Après avoir persuadé la Reine Isabelle de choisir son cousin, l’Infant Francisco de Asìs plutôt que l’Infant Enrique ou le Prince Léopold, tous deux libéraux suspects d’anglophilie, la France obtint l’accord de la Reine pour un mariage entre sa sœur et le Duc de Montpensier. Un double mariage eut lieu à Madrid le jour du seizième anniversaire de la Reine, le 10 octobre 1846. D’aucuns pensaient, à tort comme le prouva la suite des événements, que l’Infant Francisco de Asìs était impuissant, et la France s’attendait peut-être à ce que le Trône d’Espagne passât à l’Infante Luisa Fernanda ou à ses descendants, à la mort de la Reine.

L’annonce du mariage provoqua une nouvelle crise des relations internationales. La Grande-Bretagne fit part de ses protestation à la France le 22 septembre 1846, par une lettre du Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, Lord Palmerston, à l’Ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, à remettre à Guizot, Premier Ministre. En voici un extrait : « Car il apparaît clairement qu’en vertu de la Renonciation faite à Utrecht par le Duc d’Orléans d’alors, tous ses descendants mâles et femelles de l’époque, à compter de ce temps et pour toujours, sont exclus, invalidés et révoqués de la succession au Trône d’Espagne, de quelque manière que la succession pût revenir à leur branche, et c’est pourquoi les enfants et descendants du Duc de Montpensier seraient, en conséquence, exclus de la succession à la Couronne d’Espagne. Mais quelques clairs qu’en soient ses termes, et quelque bénéfique que soit l’effet de cette Renonciation, les enfants ou descendants de cette union pourraient arguer des droits qu’ils auraient hérités de l’Infante, et ainsi, à moins que le moindre doute à ce sujet ne soit une fois pour toute levé par quelque geste légal de la part de l’Infante elle-même et au nom de ses descendants, les stipulations du Traité d’Utrecht pourraient être détournées par une volte-face, et la paix en Europe troublée par une nouvelle guerre de succession d’Espagne. Mais ces considérations pourraient également donner lieu à une question d’application plus immédiatement pratique ; car on pourrait trouver un fondement à cette affirmation qui a cours en Espagne, selon laquelle l’exclusion de la branche Orléans par le Traité d’Utrecht rendrait illégal et inconstitutionnel un mariage entre l’Infante et le Duc de Montpensier. » _

Guizot répondit le 5 octobre, rejetant avec vigueur l’interprétation britannique des événements et affirmant : « Aussi le gouvernement anglais (sic) invoque-t-il, comme fondement de sa protestation, le Traité d’Utrecht et les règles qu’il a instituées pour la succession à la Couronne d’Espagne, dans l’intérêt de la paix et de l’équilibre européen. Le Gouvernement du Roi pense que le Traité d’Utrecht n’autorise, en aucune façon, une prétention semblable. Après la longue et sanglante guerre de succession, et pour rétablir la paix de l’Europe, le double but, hautement proclamé et reconnu de ce Traité fut : 1° D’assurer la Couronne d’Espagne à Philippe V, et à ses descendants ; 2° D’empêcher que l’union des Couronnes de France et d’Espagne sur la même tête fût jamais possible. Il suffit de se rappeler les négociations qui ont amené le Traité d’Utrecht et d’en lire le texte même (art. IV) pour demeurer convaincu que tels en sont la pensée et le sens. Par le mariage de l’Infante avec M. le Duc de Montpensier, la Couronne d’Espagne est assurée de ne point sortir de la Maison de Bourbon et des descendants de Philippe V ; et en même temps, les empêchements établis contre toute union possible des deux Couronnes de France et d’Espagne demeurent en pleine vigueur. La double intention du Traité d’Utrecht est toujours accomplie. Il serait étrange qu’on prétendît invoquer, contre nous, celle des dispositions de ce Traité qui tendent à empêcher l’union des deux Couronnes, et qu’on écartât celles qui assurent la Couronne d’Espagne à Philippe V et à ses descendants. Tel serait cependant le résultat de l’interprétation que, dans sa dépêche du 21 septembre, Lord Palmerston voudrait donner de ce Traité. Jamais une telle interprétation n’a été, jusqu’à ce jour, je ne dirais pas admise, mais seulement conçue et présentée. Les fiats la repoussent aussi hautement que les textes. Jamais le Traité d’Utrecht n’a été considéré ni invoqué comme faisant obstacle aux mariages entre les diverses branches de la Maison des Bourbons de France et les diverses branches de la Maison des Bourbons d’Espagne. »_

En prolongement à cette lettre, Guizot écrivait le 11 octobre 1846 ; « Une pareille protestation, présentée en vertu du Traité d’Utrecht et des Renonciations qui y sont annexées, ou plus spécialement en vertu de la Renonciation du Duc d’Orléans (1712) à ses droits éventuels au Trône d’Espagne est, à notre avis, dépourvue de tout fondement. Je vous ai dit, dans ma dépêche du 5 de ce mois, quel était le véritable caractère du Traité d’Utrecht et quel double but s’étaient proposé ses auteurs en rédigeant les clauses relatives à la succession espagnole. On voulait, d’une part, assurer le Trône aux descendants de Philippe V, de l’autre, prévenir la réunion sur une même tête des Couronnes de France et d’Espagne. Ce fut là l’objet des Renonciations demandées d’une part de Philippe V, de l’autre, aux Ducs de Berry et d’Orléans. C’est là, par conséquent, ce qui détermine le vrai sens et la portée légitime de ces Renonciations. Elles contiennent ce qui est nécessaire pour atteindre le but du Traité d’Utrecht ; mais elles ne sauraient s’étendre et ne s’étendent point, en effet, au delà de ce but.

« D’après ce principe incontestable en soi, et qui d’ailleurs se concilie parfaitement avec le texte du document dont il s’agit, la Renonciation du Duc d’Orléans signifie que, dans le cas où le Trône d’Espagne viendrait à vaquer par l’extinction de la descendance de Philippe V à laquelle il est assuré par le Traité d’Utrecht, les descendants du Duc d’Orléans ne pourraient en aucune manière réclamer ce Trône, car en échange de l’abandon fait par Philippe V, pour lui et ses descendants de ses droits éventuels à la Couronne de France, le Duc d’Orléans a abandonné ses droits éventuels à la Couronne d’Espagne, voulant conserver les droits également éventuels que sa naissance lui donnait aussi sur la Couronne de France et que, dans un intérêt Européen, on avait jugés incompatibles avec les premiers. C’est là le sens réel et raisonnable de la Renonciation.

« S’ensuit-il que les descendants de Philippe V auxquels la Couronne d’Espagne arriverait naturellement, légitimement, en vertu de leurs propres droits fondés sur les clauses mêmes du Traité d’Utrecht, dussent en être exclus, eux ou leur postérité, parce qu’il se trouveraient, ou parce que leurs ancêtres se seraient trouvés, mariés à des descendants du Duc d’Orléans ? En d’autres termes, le droit certain, incontestable, des descendants de Philippe V au Trône d’Espagne, devrait-il périr par ce qu’ils se seraient alliés à une famille qui aurait renoncé aux siens ? »_  Bien que Guizot se livre à une analyse exacte de la visée du Traité et des Renonciations, il est moins convaincant lorsqu’il évoque la possibilité pour un descendant du Duc d’Orléans de succéder à la Couronne, en vertu d’une alliance avec un descendant de Philippe V, et non pas dans le cas où ses droits reposeraient sur la revendication de la branche la plus proche en cas d’extinction des descendants de Philippe V. Ce cas de figure n’est pas évoqué dans la Renonciation du Duc d’Orléans, et tous les descendants du Duc sont exclus de manière égale, quelque soit la manière dont ils aient pu acquérir le droit à succéder. Dans le même temps, Guizot a raison de noter qu’il serait absurde d’exclure un Prince espagnol au prétexte qu’il aurait épousé un Orléans, et que les alliés avaient ignoré les nombreux mariages contractés avant l’abolition de la loi semi-salique. Le seul enjeu significatif, dans le cas d’une extinction de la descendance de Philippe V, était de savoir si les deux Couronnes ne deviendraient de ce fait plus qu’une. Si la branche aînée de la Maison de France, écartée de la succession espagnole en 1700, avait continué à régner, et si la descendance mâle et femelle de Philippe V s’était éteinte, la branche généalogique suivante aurait en effet été celle d’Orléans, mais les Trônes n’auraient toujours pas été réunis en un seul.

De deux choses l’une : ou bien les trois Renonciations sont contraignantes dans la mesure exacte des conditions qu’elles posent, ou bien elles n’engagent personne : on ne saurait opérer de choix entre leurs termes dans le dessein d’obtenir tel ou tel résultat. Il apparaît clairement que la Grande-Bretagne et ses alliés avaient résolu de ne pas les interpréter comme des Renonciations définitives et aboutissant à l’exclusion de descendants au cours du XVIIIe siècle, puisque, comme le souligne Guizot, ces nations n’ont pas protesté contre les alliances inter-dynastiques qui en auraient violé les termes. Louis XV avait été fiancé à l’Infante Marie (alors quatrième dans l’ordre de la succession) le 25 novembre 1721, le Dauphin Louis, fils de Louis XV, avait épousé l’Infante Marie-Thérèse, fille cadette de Philippe V et sixième dans l’ordre de la succession, en 1744 (elle mourut sans descendance). Le Comte de Provence, futur Louis XVIII épousa en 1771 la Princesse Joséphine de Savoie, fille de l’Infante Maria Antonia—son frère Charles X avait épousé sa sœur en 1773. Le Duc d’Orléans, futur Louis-Philippe, avait épousé la Princesse Marie-Amélie des Deux-Siciles en 1816 ; Henri d’Orléans, Duc d’Aumale, épousa la Princesse Marie-Caroline des Deux-Siciles en 1844 ; Philippe, Comte de Paris épousa sa cousine Orléans, l’Infante Isabelle, fille du Duc de Montpensier, en 1864—cette dernière était Infante d’Espagne par sa mère, l’Infante Luisa Fernanda. Seul le mariage de 1846, entre le Duc de Montpensier et l’Infante Luisa Fernanda, alors héritière présomptive de la Couronne, donna lieu à des protestations. Chacune de ces Princesses était Infante, et de ce fait conférait à sa descendance des droits sur la succession d’Espagne ; toutefois, selon les termes des Renonciations de 1713, les enfants nés de ces alliances, en tant que descendants de Philippe V, auraient dû être exclus de la succession à la Couronne de France.

De la même manière, les descendants des mariages contractés entre Princes descendant de Philippe V et descendantes de Louis XV ou du Duc d’Orléans auraient dû être exclus de la succession espagnole. Il y eut néanmoins plusieurs mariages entre descendants mâles de Philippe V et descendantes du Roi de France et du Duc d’Orléans. En 1721-1722 en effet, Louise-Elizabeth d’Orléans, Mademoiselle de Montpensier, fille de Philippe, Duc d’Orléans, épousa Louis Ier, Roi d’Espagne (mais mourut sans laisser d’enfant). En 1739, la fille aînée de Louis XV, Elizabeth, épousa Philippe, Duc de Parme ; en 1907, la Princesse Louise d’Orléans épousa l’Infant Charles, Prince des Deux-Siciles—leur petit-fils devint Roi d’Espagne en 1975, malgré la Renonciation de son ancêtre. Une interprétation littérale de ces Renonciations aurait exclu la succession d’Isabelle II et de ses descendants au Trône d’Espagne, ainsi que de ceux de Charles X et de Louis-Philippe au Trône de France. La Grande-Bretagne n’objecta jamais contre les clauses de succession des Constitutions espagnoles de 1812, ni contre l’article 53 du titre 7 de celle de1837, ni contre l’article 52 du titre 7 de celle de 1845, dont les termes affectaient une ou plusieurs des stipulations des Renonciations et du Traité d’Utrecht. La Grande-Bretagne ignora également les contradictions patentes des unions sus-citées avec les termes des Renonciations de 1713.

Lord Palmerston rejeta complètement ces arguments dans sa réponse à Guizot en date du 31 octobre 1846, affirmant qu ’’ à ces exemples, le Gouvernement de Sa Majesté répondrait que même s’il s’agissait bien de cas où les stipulations d’Utrecht avaient été ignorées, la négligence des gouvernants du siècle précédent ne justifie pas que les gouvernants de ce siècle n’y fassent pas référence, pour autant que ces stipulations soient claires, évidentes et indiscutables. Des stipulations équivoques peuvent être interprétées à la lumière de précédents, mais un Traité aussi clair et précis ne peut être invalidé que par un acte formel de nature semblable. Une loi ne saurait être abrogée pour quelqu’un, au prétexte que quelqu’un d’autre aurait négligé de demander son application, et un Traité ne saurait être annulé pour une génération, au prétexte que la génération précédente, dans des circonstances fondamentalement différentes, ait pu laisser ses stipulations à l’état latent. Mais les cas cités par M. Guizot sont de nature très différente de celui du mariage de M. le Duc de Montpensier.

« Dans tous ces cas, la loi Salique était en vigueur en France et en Espagne ; les Princesses en question, au lieu d’être héritières directes de la Couronne de leurs pays respectifs, étaient, pour les deux premières, exclues de la succession en vertu de la loi française et pour la troisième, par la loi espagnole puisqu’il subsistait une branche mâle. Il est évident que, tant que la loi Salique avait cours dans les deux pays, la stricte application des stipulations d’Utrecht en ce qui concernait les filles avait alors une moindre importance, ce qui n’est plus le cas depuis le changement de la loi espagnole. Mais en regard des cas cités, on peut observer, en ce qui concerne le premier qu’après ce mariage, le Traité conclu entre la France et l’Autriche en 1725 confirmait encore et inscrivait l’exclusion de tous les Princes français et de leur descendance du Trône d’Espagne. » Les Renonciations avaient toutefois été rédigées avant l’introduction de la loi semi-salique, et avaient été annexées au volet anglo-espagnol du Traité d’Utrecht en même temps que le décret établissant la loi semi-salique du 10 juillet 1713. Les formulations des Renonciations ne furent pas modifiées après l’introduction de la loi semi-salique, de sorte que si elles étaient bien efficaces en tant que Renonciations dynastiques, il importait peu de savoir quel système de succession prévalait. Si un droit ou un privilège accordé par un traité est ignoré pour une longue période, plus d’un siècle dans le cas qui nous intéresse, il y a matière à considérer qu’il a été abandonné. Tel était le point de vue de la France et de l’Espagne non seulement à propos du Traité d’Utrecht mais également des pactes familiaux qui avaient été dénaturés par l’alliance entre Napoléon et Charles IV. Les Britanniques citaient également le Traité de 1725 à l’appui de leur argument : bien que la Grande-Bretagne ne l’ait pas signé, les termes de ce Traité, et les Renonciations qui y avaient été portées en annexe avaient été violés par les deux pays signataires de manière patente. Il est douteux qu’en droit international, un pays tiers puisse revendiquer le moindre privilège en vertu d’un Traité qu’il n’a pas signé, et que les deux pays signataires ont choisi de ne pas respecter par la suite.

Lord Palmerston poursuivait : « Le Gouvernement de Sa Majesté a la surprise de constater qu’après de telles Renonciations, de telles stipulations et de tels engagements, le Gouvernement français s’entête à vouloir prouver, comme M. Guizot le laisse entendre dans sa dépêche, que les descendants de M. le Duc de Montpensier pourraient être affranchis de l’exclusion évidente et perpétuelle dont ils font l’objet depuis les transactions d’Utrecht, au prétexte qu’ils recevraient leurs droits de l’Infante Luisa Fernanda. Il est manifeste qu’aucun droit qui leur serait transmis par l’Infante ne pourrait annuler ou écarter la disqualification évidente qu’ils hériteraient de M. le Duc de Montpensier. Il va de soi que la disqualification dont les enfants héritent d’un ascendant l’emporte sur les droits qu’il hériteraient de l’autre (…). Le Gouvernement français a le choix entre admettre que les descendants de M. le Duc de Montpensier sont exclus en vertu des Renonciations du Traité d’Utrecht, ou reconnaître qu’il a enfreint les termes de l’engagement contenu dans ce Traité. »_

La Grande-Bretagne, après avoir protesté contre la France, adressa une nouvelle protestation à l’Espagne, en date du 5 octobre 1846 ; Henry Bulwer-Lytton, l’Ambassadeur britannique posait que « la postérité et la descendance de M. le Duc de Montpensier et de l’Infante Luisa Fernanda, si ce mariage devait avoir lieu, serait à jamais exclue de la succession à la Couronne d’Espagne, dans le cas où il viabilité à manquer une descendance à Sa Majesté présente, la Reine Isabelle ; nul droit ni capacité que ladite descendance de M. le Duc de Montpensier et de l’Infante ne saurait non plus l’emporter sur la disqualification et l’exclusion évidentes qui les touchent en tant que descendants du Duc d’Orléans de 1712. Le Gouvernement britannique estime de son devoir de déclarer publiquement et solennellement l’Incapacité, l’Inaptitude et l’Exclusion de la succession au Trône d’Espagne qui viendrait toucher toute postérité ou descendance d’un mariage entre l’Infante et M. le Duc de Montpensier, si ce mariage devait tout de même avoir lieu, au mépris des admonestations et des protestations de la Grande-Bretagne ; de sorte que si, à l’avenir, le moindre conflit au sujet de la succession au Trône dût en découler, et si la Grande-Bretagne, dans un tel cas, s’estimait fondée à y prendre part, aux fins d’appuyer les principes énoncés par la présente note, il ne sera possible à aucune des parties concernées de prétendre que le Gouvernement britannique n’avait pas fait état, bien avant l’heure, de ses sentiments et de ses vues. »_

L’Espagne avait répondu à la première protestation adressée à la France dans une lettre du 29 septembre 1846 : une telle action ressortissait à une interférence directe dans les Affaires Intérieures de l’Espagne, contrevenant aux principes de l’indépendance espagnole, et qui ne dépendait en rien de l’approbation de puissances étrangères. Dans ses instructions à l’Ambassadeur d’Espagne à Paris, datées du 15 novembre 1846, le Ministre espagnol des Affaires Etrangères écrivait que : « la modification des territoires des différents Etats, les infractions par ces Etats à d’autres conditions des Traités depuis Utrecht jusqu’à nos jours, les changements des dynasties et des institutions (…) signifiaient que ces Traités devaient être considérés comme ayant perdu toute leur force d’application d’origine, (…) et que ces Traités avaient perdu toute validité. »_ Il poursuivait en répertoriant les différents mariages entre les Maisons de France et d’Espagne, qui avaient eu lieu sans que quiconque protestât, bien que la jouissance de droits de succession par leurs descendances représentât une infraction théorique, ainsi que les clauses des précédentes Constitutions espagnoles, qui de la même manière enfreignaient aux Traités.

Bien que la Grande-Bretagne n’eût pas adressé de nouvelle protestation à l’Espagne, les échanges entre Guizot et Lord Palmerston se poursuivirent l’année suivante. Le 8 janvier 1847, le Secrétaire aux Affaires Etrangères britannique reprit la plume pour déplorer les manœuvres françaises, déclarant: « la position du Gouvernement de Sa Majesté est claire, simple et irréfutable. Le Duc d’Orléans de 1712 a renoncé pour lui-même et pour ses descendants à toute revendication ou droit sur la succession au Trône d’Espagne, et s’est déclaré lui-même, ainsi que tous ses descendants, inaptes et exclus de ladite succession, quelle que soit la raison (mariage inclus) pour laquelle la succession leur reviendrait. Cette Renonciation a été incorporée au Traité d’Utrecht, engageant par là la France ; elle fit dès lors partie du droit public européen, et fut en outre incluse dans les droits français et espagnol. Le Duc de Montpensier est, comme le seront ses enfants après lui, de la descendance du Duc d’Orléans de 1712 et M. le Duc de Montpensier et ses enfants sont de ce fait inaptes à succéder au Trône d’Espagne, « quelle que soit la raison pour laquelle la succession leur reviendrait ». Telle est la position du Gouvernement de Sa Majesté. Elle est fondée sur la formulation claire et évidente des Traités et des lois, et ne peut-être ébranlée par l’invocation de mariages qui ont eu lieu un siècle auparavant. Aucun de ces cas n’était semblable à celui qui fait l’objet de la présente discussion, car aucun ne concernait un mariage entre un Prince français et l’héritière putative du Trône d’Espagne. Dans chacun de ces cas, la loi Salique était en vigueur en France et en Espagne ; et lorsque l’Infante Marie-Thérèse épousa le Dauphin en 1745, il se trouvait plusieurs héritiers mâles de la Couronne d’Espagne…C’est sur les « conditions définitives de cette paix » que le Gouvernement de Sa Majesté, dans cette discussion, a pris position. Et c’est « la lettre et l’esprit » de ce Traité dont ils s’estiment fondés à réclamer la stricte observance. »_ Les enfants de l’Infante Luisa-Fernanda étant considérés comme dynastes en Espagne, l’interprétation britannique des Renonciations et des Traités était que les engagements contractés par le Duc d’Orléans en 1712 avaient été rompus. Puisque ces engagements avaient fait partie d’un échange réciproque, la validité de la Renonciation de Philippe V était annulée par cette infraction à la réciprocité.

La réponse de Guizot, bien qu’elle n’apportât évidemment pas satisfaction à la Grande-Bretagne, constituait la position finale du Gouvernement français à ce sujet. « L’intention du Traité d’Utrecht, je le répète, était de prévenir l’union des Couronnes de France et d’Espagne sur une même tête. S’il devait advenir, comme le suggère Lord Palmerston dans sa présente hypothèse, que les doits à l’une et l’autre Couronne se trouveraient réunis sur la tête d’un seul et même Prince, je n’hésiterai pas à reconnaître qu’il ne pourrait pas détenir les deux. _ » Le gouvernement confia à un éminent historien français, Charles Giraud, de l’Institut, de se pencher sur la question. Ses conclusions (Le Traité d’Utrecht), publiées à Paris en 1847, rejettent fermement le point de vue britannique, et soutiennent que le seul objectif des Renonciations était de prévenir l’union des deux Couronnes, et d’assurer la Couronne d’Espagne aux descendants de Philippe V. En soutenant que les Renonciations ne pouvaient pas invalider les droits des descendants de l’individu ayant renoncé à la succession, dans le cas présent le Duc d’Orléans renonçant au Trône d’Espagne, Giraud ne se penchait pas directement sur une conséquence parallèle, qui était que la Renonciation de Philippe V n’était plus efficace, en ce qui concernait l’exclusion de ses descendants au Trône de France. Le même raisonnement doit être cependant appliqué ; ces Renonciations étaient réciproques, et ainsi interdépendantes, si la Renonciation du Duc d’Orléans était insuffisante à empêcher ses descendants de succéder au Trône d’Espagne, celle de Philippe V ne pouvait exclure ses descendants de la succession au Trône de France.


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Le Traité d'Utrecht, les Renonciations de 1712, et la succession à la tête de la Maison royale de France.

Sixième Partie : Conséquences historiques

Guy Stair Sainty
(Trans. Arnaud Odier)

La rupture avec la Grande-Bretagne contraignit Louis-Philippe à une adhésion plus étroite aux menées du gouvernement conservateur de Guizot ; il dut prendre ses distances avec l’opposition libérale, favorable à l’alliance britannique. Le gouvernement de Guizot, affaibli par des scandales politiques et financiers, se montra incapable de gérer la crise économique dans laquelle fut plongée la France, puis le reste de l’Europe en 1847. François Guizot démissionna de son poste de Premier Ministre le 23 février 1848, et le soulèvement qui en découla conduisit à la chute de la Monarchie. Louis-Philippe abdiqua le lendemain en faveur de son petit-fils, le Comte de Paris, en vain : il fut forcé de fuir en Angleterre, où il mourut le 26 août 1850 sur ses terres de Claremont, dans le Surrey. Il était le dernier des descendants d’Hugues Capet à régner sur la France. Aujourd’hui son descendant Henri, Comte de Paris, revendique non seulement son affiliation à la Monarchie libérale de 1830-1848, mais également des droits hérités de ses ancêtres Louis XIV et Charles X. Se justifiant d’avoir pris la tête de la Maison Royale de France, le Comte de Paris, à l’image de son défunt père, allègue la validité des Renonciations de 1712, et la nationalité étrangère de différents représentants mâles de la branche aînée après la mort d’Henri V, Comte de Chambord.

Isabelle II, à la surprise de ses contemporains, eut onze enfants de l’Infant Francisco de Asìs, dont quatre seulement atteignirent l’âge adulte—l’Infante Eulalie, dernière survivante, mourut à San Sebastian en 1958 à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans, quelque 112 ans après la crise des mariages. La Reine avait été déposée par la révolution du 30 septembre 1868 ; elle abdiqua en faveur de son fils aîné le 25 juin 1870 (ce dernier ne put lui succéder que le 29 décembre 1870) ; Isabelle avait obtenu une séparation officielle d’avec son mari le 8 avril 1870. Elle mourut à Paris, en son Palais de Castille, le 9 avril 1904, deux ans seulement après son mari, qui mourut au Château d’Epinay le 17 avril 1902. La sœur d’Isabelle, Luisa Fernanda mourut au Palais de Séville le 1er février 1897. Son mari, qui reçut le titre d’Infant d’Espagne en 1859, était mort à Cadix le 4 février 1890, après lui avoir donné dix enfants. Leur fille aînée Isabelle épousa le Comte de Paris, et leur fils, Duc d’Orléans, avait alors une chance raisonnable de succéder au Trône_. La seule de leurs filles qui survécut, Mercedes, épousa Alphonse XII, mais mourut sans lui laisser d’enfant. Parmi les descendants de Luisa Fernanda et d’Antoine, Duc de Montpensier, figurent le Roi d’Espagne et le Comte de Paris actuels, dont l’un et l’autre auraient dû être exclus de la succession si l’interprétation britannique du Traité d’Utrecht avait été retenue.

Le frère de l’Infant Don Francisco de Asìs, l’Infant Don Enrique, ancien candidat britannique à la main de la Reine Isabelle, fit plus tard un mariage en mésalliance, sans la permission de la Reine, et fut alors privé de tous ses titres royaux en 1848. Ces titres lui furent rendus ad personam six ans plus tard, mais sans aucun droit dynastique pour ses descendants ; ils lui furent retirés à nouveau en 1867 pour faits d’opposition politique. Trois ans plus tard, le 12 mars 1870, l’Infant Don Enrique fut tué d’une balle lors d’un duel avec son cousin, l’Infant Don Antoine, Duc de Montpensier. Son petit-fils, Francisco de Paul de Borbòn se proclama lui-même Roi de France le 30 juillet 1894, prenant le titre de Duc d’Anjou au motif qu’il était le plus âgé des Bourbons régnants à ne pas revendiquer également le Trône d’Espagne. Au terme d’un procès que le Duc d’Orléans engagea contre lui, la justice française lui ordonna de cesser d’utiliser les armes pleines de France. Ses héritiers n’ont pas relevé ses revendications, mais Don Francisco de Borbòn, Duc de Séville jure uxoris (il avait épousé sa cousine germaine), se distingua pendant la Guerre Civile, où il servait parmi les forces nationalistes. Le Prince Léopold de Saxe-Cobourg, autre candidat malheureux à la main de la Reine, fit lui aussi une mésalliance en 1861 ; son fils unique mourut sans descendance.

Charles X de France et de Navarre avait été déposé par la Révolution de Juillet 1830, s’exilant d’abord en Angleterre puis pour Goritz en Illyrie, dans l’Empire Austro-Hongrois, où il mourut le 6 novembre 1836. Son fils aîné et unique descendant survivant lui succéda sous le nom de Louis XIX, Roi en titre, après avoir porté les titres de Duc d’Angoulême et de Dauphin après l’avènement de son père. Le Duc d’Angoulême avait épousé Madame, infortunée fille de Louis XVI ; ils portaient étaient connus pendant l’émigration sous le nom de Comte et Comtesse de marnes. Il mourut comme son père, dans la Maison d’un aristocrate autrichien près de Goritz, le 3 juin 1844. L’héritier et successeur de Louis XIX à la tête de la Maison de France était son neveu le Duc de Bordeaux, fils unique de son frère cadet le Duc de Berry. Charles X avait abdiqué en faveur du Duc de Bordeaux le 2 août 1830 (six jours avant que Louis-Philippe n’accepte la Couronne que lui conféra l’Assemblée Nationale) ; le Duc de Bordeaux avait d’abord été reconnu Roi de jure par l’Empereur de Russie et le Duc de Modène, mais ces derniers reconnurent finalement Louis-Philippe. Après l’échec du soulèvement vendéen et la disparition de tout espoir de restauration, le statut de Roi en titre de Louis XIX ne fut pas contesté et le Duc de Bordeaux s’effaça.

À la mort de son oncle, le Duc de Bordeaux prit le titre de Comte de Chambord, château qui lui avait été légué à sa naissance, et prit la tête de la Maison de Bourbon sans contestation de part ni d’autre. Bien qu’il n’eût jamais pris le titre de Roi, lui préférant celui de Chef de la Maison de Bourbon ou, de Fils Aîné de l’Eglise, ses partisans lui donnaient le nom d’Henri V, Roi de France et de Navarre. En 1873, en une réconciliation éclatante, il accepta de recevoir le Comte de Paris, à qui il pardonna la déloyauté de son grand-père en 1830 ; il continua néanmoins de refuser les compromis politiques qui auraient réconcilié ses partisans avec les orléanistes. À la mort du Comte de Chambord en son château de Frohsdorf en Autriche, en 24 août 1883, le Comte de Paris se proclama son successeur à la tête de la Maison de France, arguant de l’exclusion des branches aînées restantes aux termes des Renonciations de 1713. Ce fut pourtant le chef de la branche aînée, Juan (Jean), Comte de Montizon, lequel avait abdiqué son titre de Roi Carliste en faveur de son fils aîné, le Duc de Madrid, qui présida aux funérailles du Comte de Chambord. Il déclara alors : « En devenant Chef de la Maison de Bourbon par la mort de mon beau-frère et cousin, M. le Comte de Chambord, je déclare ne renoncer à aucun droit sur le Trône de France, que je tiens par ma naissance. »_

Le Comte de Montizon mourut à Brighton, Sussex, en Angleterre, le 18 novembre 1887 ; son fils aîné Carlos (Charles), Duc de Madrid, se proclama Chef de la Maison de Bourbon, prenant le titre de Duc d’Anjou. Dans une lettre au Comte de Valori en date du 14 septembre 1888, il écrivait : « Je suis Roi de toutes les libertés nationales, je ne serai pas Roi de la Révolution (…)je préserverai les droits inviolables des Bourbons dont je suis le Chef, droit qui ne s’éteindra qu’avec le dernier des descendants de la race de Louis XIV. »_ Il appuya à nouveau cette revendication dans une série de déclarations, y compris dans une protestation contre l’expulsion des membres d’ordres religieux en France, datée du 12 mars 1906 et publiée à Naples : « En tant qu’aîné de la Race de vos Rois et successeur salique, par droit de primogéniture, de mon oncle Henri V, je ne saurais demeurer plus longtemps spectateur passif des torts commis envers la Religion, et avec Sa Sainteté le Pape Pie X (…) »_ Don Carlos mourut dans un hôtel de Varèse, en Italie, le 18 juillet 1909. Il laissait quatre filles et un fils unique, Jaime (Jacques), qui lui succéda.

Le nouveau Duc d’Anjou et de Madrid réaffirma fermement ses droits à prendre la tête de la Maison Royale de Bourbon, accordant comme son père des citations aux Ordres du Saint-Esprit et de Saint-Michel, et défendant ses droits dans une lettre au maire de son Palais le 6 décembre 1911 : « Le Chef de la Maison de Bourbon, c’est moi ; c’est moi qui, dans ma lettre aux souverains, à la mort de mon cher et regretté père ai solennellement déclaré mon intention de relever tous les titres et prérogatives qu’il m’avait légués ; moi qui tiens du Comte de Chambord, avec le Château de Frohsdorf, les reliques, archives et documents de la Monarchie légitime ; moi qui suis maître des Ordres Royaux. S. A. R. le Duc d’Orléans n’est pas autorisé à appointer un Chevalier du Saint Esprit, ou de l’ordre approprié, puisqu’il vient presque en dernier dans notre arbre généalogique ; sa branche ne saurait exprimer la moindre prétention tant que ne seront pas éteintes non seulement ma branche, mais celles d’Espagne, des Deux-Siciles et de Parme. »_ Don Jaime communiquait régulièrement avec ses partisans français, signait les documents officiels du nom de « Jacques » à partir de 1918, et appointa plusieurs Chevaliers du Saint Esprit (en plus du Roi Alphonse XIII), et au moins deux Chevaliers de l’Ordre de Saint-Michel. Il mourut célibataire à Paris le 2 octobre 1931, quelques jours après avoir rencontré son cousin Alphonse XIII. Alphonse-Charles, son oncle âgé de quatre-vingt-deux ans, lui succéda en prenant le nom de Duc de San Jaime. Ce dernier toutefois ne suivit pas ses deux prédécesseurs dans leur revendication active de la tête de la Maison de France ; il ne fit qu’une seule concession à ses partisans français, en conférant son haut patronage à la Société Française d’Archéologie_.

A la mort d’Alphonse Charles, le titre de Chef de la Maison de Bourbon passa au Roi d’Espagne en exil, Alphonse XIII, qui avait conclu sa paix avec le Duc d’Anjou et de Madrid, lors de sa visite à son rival carliste le 23 septembre 1931. Alphonse avait accepté de recevoir le Collier du Saint-Esprit, par un document où il était nommé comme le « Prince Alphonse », en reconnaissance implicite des droits du Duc de Madrid à prendre la Tête de la Maison de France. Alphonse-Charles, Duc de San Jaime, ne laissa pas de descendance mais reconnut Alphonse XIII comme son successeur le 6 janvier 1932, déclarant : « Je fais appel à tous et en premier lieu à mon très cher neveu Alphonse de Bourbon sur lequel mes droits devront être reportés à ma mort, avec les principes fondamentaux qui ont toujours été exigés de tous les Rois de notre Royaume traditionnel. »_ Le vieux Duc de San Jaime convenait que sa position à la tête de la Maison de Bourbon lui donnait des responsabilités particulières, en faisant paraître un décret conférant le titre de Prince de Bourbon à tous les descendants par la branche mâle de l’Infant Don Sébastien_. À la mort d’Alphonse Charles, Alphonse XIII abandonna la bordure de gueules (qui est d’Anjou) de ses armes, bien que le défunt Don Juan, Comte de Barcelone, ait contesté la signification précise de ce geste eu égard aux droits français du Roi. Lorsque Alphonse XIII mourut le 28 février 1941 à Rome, les Colliers du Saint-Esprit et de la Toison d’Or furent posés sur son cercueil. Le fils aîné du Roi, le Prince des Asturies, avait péri dans un accident (après deux mariages contractés en infraction avec les lois de la Maison Royale d’Espagne), et son fils aîné, Don Jaime, Duc de Ségovie, lui succéda comme Chef de la Maison de Bourbon, tandis que son fils cadet, Don Juan, Comte de Barcelone, lui succédait à la tête de la Maison d’Espagne (son fils Juan Carlos devint Roi d’Espagne en 1975).

Alphonse XIII quitta l’Espagne en 1931 et la Monarchie fut remplacée par une République, de sorte qu’à l’heure où le Roi d’Espagne accéda à la tête de la Maison de France en tant que représentant de Louis XIV, il n’était plus de facto Roi d’Espagne. Tout comme en 1887, le statut d’aîné et les droits aux Trônes de France et d’Espagne étaient réunis sur une même tête, celle d’un Prince non régnant. Si les deux Monarchies avaient été restaurées, le précédent historique aurait dicté que le Trône d’Espagne fût confié à un Prince puîné, comme cela avait eu lieu en 1700. Alphonse XIII considérait néanmoins qu’il détenait les deux prérogatives, et signait une lettre au Duc de Séville (jure uxoris) en février 1940 du nom de « Chef de la Maison de Bourbon en ses deux branches principales (…) par nos ascendants portés au Trônes de Saint-Louis et de Saint-Ferdinand ». l’Infant Don Jaime, le second fils d’Alphonse XIII, avait renoncé à ses droits espagnols, en raison d’une incapacité physique qui l’aurait empêché d’assumer la responsabilité de la Royauté, dans une lettre solennelle à son père en date du 21 juin 1933_. Ce geste de Don Jaime, empreint de courage et d’abnégation, était motivé par la conscience que ce handicap rendrait plus difficile encore toute entreprise visant à une Restauration. Deux ans plus tard, le 4 mars 1935, il épousa la descendante d’une famille française de vieille aristocratie, Emmanuelle de Dampierre (fille du Duc de San Lorenzo (titre accordé par le pape) et de sa femme, Vitoria Ruspoli, des Princes de Poggio Suasa). Cette union contrevenait toutefois aux exigences de la Loi Espagnole portant sur le mariage, article 12 de la nouvelle Loi du Titre II du Xè Livre de la Novisima Recopilaciòn (Décret Pragmatique de Charles III du 23 mars 1776). Le Décret Pragmatique de Charles IV en 1803 (Nouvelles règles pour la célébration des mariages) ne révoquait pas explicitement l’obligation d’égalité édictée par le Décret de 1776, mais bien qu’elle passât sous silence l’obligation d’une égalité de rang, elle confirmait la nécessité de l’approbation royale dans la validation légale d’un mariage dynastique. Plus tard au XIXe siècle, c’était la loi de 1776 qui avait communément cours : les dynastes qui contractaient des mariages inégaux mais qui désiraient gardaient leurs prérogatives royales ainsi que leurs titres faisaient l’objet de Décrets Royaux, contresignés par le Président du Conseil des Ministres, ce qui les excluait de la succession.

La validité de la loi de 1776 avait été réaffirmée par les Décrets Royaux du 8 février 1847 et du 7 mars 1867, ainsi que par un Ordre Royal, émis par le Ministère de la Justice, le 16 mars 1875. Les différentes Constitutions du XIXe siècle, aboutissant dans la Constitution de 1876, qui eut cours jusqu’à la fin de la Monarchie, exigeaient également qu’une loi spéciale soit votée par les Cortes afin de valider le mariage du Roi ; le mariage du Prince héritier devait également recevoir l’approbation des Cortes, mais ces conditions ne pouvaient plus être remplies après la chute de la Monarchie en 1931. Les deux fils que Don Jaime eut de son mariage, tout en étant Princes du Sang et susceptibles de succéder à la tête de la Maison, ne pouvaient succéder au Trône d’Espagne d’après les lois de la Monarchie d’avant 1931_. Après la mort de leur père, Don Jaime fit clairement connaître sa position dans une lettre officielle datée du 23 juillet 1945, adressée à son frère, le Comte de Barcelone ; il reconnaît en lui le Roi d’Espagne de jure et l’appelle « Majesté », titre qu’il lui donne encore dans une nouvelle lettre datée du 17 juin 1947.

D’éminents spécialistes ont argué que, la renonciation de D. Jaime ne se conformant pas aux exigences précises de la Loi et le Décret de 1803 l’ayant de fait emporté sur celui de 1776, la présence d’Alphonse XIII à la célébration du mariage de son fils était une reconnaissance ipso facto de sa légitimité dynastique. Ils considèrent donc que la révocation ultérieure par Don Jaime de sa Renonciation était légale. Toutefois, sa Renonciation était motivée par la reconnaissance spontanée d’un article de la Constitution de 1876, permettant l’exclusion des héritiers du Trône qu’un handicap rendait incapables d’assumer leurs fonctions royales. Lorsqu’il se maria, son père et lui présumaient tous deux que ce mariage disqualifiait également ses descendants de toute accession au Trône d’Espagne (de même que tous les autres dynastes espagnols qui s’étaient mariés hors du cercle des familles royales avaient été exclus depuis 1776). L’unique occasion qui s’offrait à lui d’émettre toute prétention au Trône d’Espagne était celle de la mort de son père, où pendant quelques jours, la succession à la Couronne avait été momentanément « ouverte ». cependant, en reconnaissant son frère comme le Roi de jure, il avait abandonné tout espoir raisonnable de faire entendre ses revendications. L’application de la loi sur les mariages de 1776 doit sans aucun doute être considérée comme justifiée dans ce cas, puisqu’elle avait été entérinée à nouveau par une série de compilations de la Loi Espagnole. La Constitution espagnole actuelle, en conséquence, reconnaît la Couronne d’Espagne comme le droit héréditaire de tous les successeurs de S.M. le Roi Juan Carlos, qu’elle identifie comme l’héritier de l’ancienne dynastie (article 56).

Au cours des dernières années de sa vie, Don Jaime devint de plus en plus actif en France, honorant de sa présence plusieurs cérémonies légitimistes et conférant même quelques titres des Ordres Royaux. Il mourut à Saint-Gall en Suisse le 20 mars 1975 ; son fils aîné Alphonse, Duc de Cadix le remplaça à la tête de la Maison de Bourbon, et releva alors le titre de Duc d’Anjou porté par son père. Il est à noter qu’en 1936, Paul Watrin avait dans son journal, La Science Historique, salué la naissance du jeune Prince, « Le petit Prince Alphonse, espoir de la légitimité. »_ Ce commentaire est d’autant plus frappant qu’il date d’une époque où les Monarchistes français en tenaient majoritairement pour les Orléans, influencés qu’ils étaient par Charles Maurras (le Comte de Paris rompit avec lui après sa condamnation par Rome). Feu le Duc d’Anjou et de Cadix fut élu par la branche française de la Société des Cincinnati comme représentant de Louis XVI (ce qui entraîna la démission du Comte de Paris, représentant de l’Amiral d’Orléans), et assista à de nombreux rassemblements et cérémonies légitimistes. Alphonse, Duc d’Anjou et de Cadix fut assigné devant les tribunaux par le Comte de Clermont, fils aîné du Comte de Paris, qui cherchait à lui faire interdire de porter les armes pleines de France et le titre de Duc d’Anjou. Sa demande échoua ; le Duc de Cadix continua à porter le titre de Duc d’Anjou sur son passeport français. Il mourut au cours d’un tragique accident de ski à Beaver Creek, Avon, dans le Colorado, le 30 juin 1989 ; son second fils, Louis-Alphonse, le seul qui restât en vie, lui succéda. Il est né le 25 avril 1974, possède la double nationalité française et espagnole et vit à Madrid. Monseigneur le Prince Louis-Alphonse fut élu en remplacement de son père comme représentant de Louis XVI par la Société des Cincinnati. Le 24 juin 2000 il fut reçu Bailli Grand-Croix d’Honneur et Dévotion in gremio religionis par l’Ordre souverain militaire de Malte en tant que « Son Altesse Royale le Prince Louis-Alphonse de Bourbon, Duc d’Anjou » lors de la cérémonie annuelle d’investiture de l’Ordre tenue en la Chapelle Royale du Château de Versailles. Depuis sa majorité, Monseigneur Louis-Alphonse, Duc d’Anjou a témoigné d’un intérêt particulier pour la France et son histoire, prenant part à un grand nombre de cérémonies, en particulier la cérémonie annuelle de commémoration de la fondation des Invalides, où il est invité par le Gouverneur des Invalides (en même temps que le Chef de la Maison d’Orléans et le Chef de la Maison Bonaparte).

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